Je voudrais leur demander pardon, mais ils ne sont plus là
de Mikolaj Grynberg

critiqué par TRIEB, le 2 décembre 2023
(BOULOGNE-BILLANCOURT - 72 ans)


La note:  étoiles
LA POLOGNE SANS LES JUIFS
Mikolaj Grynberg est l’auteur de plusieurs livres consacrés à l’héritage de la Shoah dans l’histoire polonaise et européenne mais ils n’ont malheureusement pas été traduits en français. La traduction éditée par Actes Sud de l’ouvrage intitulé « Je voudrais leur demander pardon mais ils ne sont plus là » vient combler cette lacune. Le récit s’organise autour de témoignages confiés à l’auteur par des amis : ils ont tous en commun d’être juifs et relatent leurs expériences passées et présentes de leur vie en Pologne. Le mode d’expression générale employé est laconique, dénué de la moindre emphase. On pense parfois à la déposition à la barre d’un procès imaginaire d’une série de témoins .Chaque témoignage porte un titre , souvent très court, et ne dépasse jamais trois ou quatre pages . Ainsi, dans LE BAZAR , évoque-t-on la question d’être juif ou ne pas l’être .Après avoir passé en revue le poids des préjugés antisémites, l’impossibilité d’échapper à ses origines aux yeux des autres, l’auteur conclut avec une grande amertume : « Je pense que mieux vaut ne pas être juif . D’ailleurs, vous voyez bien que personne ne se presse pour le devenir . Non, il n’y a pas de file d’attente. »
Dans un autre témoignage, une description d’un enterrement familial, une jeune fille prend conscience de ses origines, de son devoir de fidélité à ces dernières : « Je me trouvais enfin devant la tombe de mes grands-parents. Avant même de réaliser que ma mère était juive, je me suis entendu dire que moi aussi je l’étais. Mais pourquoi as-tu voulu attendre jusqu’à ta retraite ? -Une fois à la retraite, on est en sécurité ma fille ».
Tous les témoignages contenus dans ce livre sont de la même veine ; ils sont forts, éloquents, nous émeuvent par leur concision. C’est en dépit de ce dépouillement voulu par l’auteur, une radiographie des relations des survivants de la Shoah en Pologne, une restitution de leurs expériences de vie : la persistance de l’antisémitisme dans une Pologne où les Juifs ne sont plus qu’une poignée de survivants. Dans l’un des témoignages, peut-être le plus émouvant de l’ouvrage, MES CINQ JUIFS, l’auteur y décrit la vie de cinq juifs, qui l’incitent à confirmer ses préjugés à leur égard. Il prend conscience de son erreur, bien plus tard, alors qu’ils ont tous été exterminés : « Peut-être ai-je porté des accusations contre des innocents ? J’aimerais leur demander pardon mais ils ne sont plus là. »

Voilà un livre précieux, dont la pertinence de parution est dramatiquement illustrée par les récents évènements du Moyen-Orient, qui ont vu des Juifs, des civils, exterminés parce qu’ils étaient Juifs. A lire de toute urgence.