Mon jeune grand-père
de Philippe Annocque

critiqué par Nathafi, le 27 octobre 2023
(SAINT-SOUPLET - 57 ans)


La note:  étoiles
Un beau partage

Philippe Annocque retranscrit dans cet ouvrage les cartes postales qu'envoyait son jeune grand père, âgé d'une vingtaine d'années, à ses parents, alors qu'il était prisonnier en Allemagne. Discrètement, comme en filigrane, il commente ce travail très difficile. Les cartes ont cent ans, elles sont pour la plupart écrites au crayon papier, presque effacées, on devine l'effort de lecture qu'il doit fournir, l'écriture est petite. De plus, la censure passait par là parfois, et ajoutait des nuances violettes pour rendre illisibles certains passages. Il ajoute de ci, de là, un complément d'information à l'intention du lecteur, avec pudeur, l'invitant à découvrir avec lui chaque autre carte.

Nous suivons Edmond, tout jeune, officier de son état, ce qui lui permet de bénéficier d'une captivité plus correcte que celle des soldats. Il peut écrire, mais sous contrôle, bien sûr, recevoir des lettres, et des colis (fouillés) pour améliorer l'ordinaire.
Il écrit beaucoup à ses parents, qui le lui rendent bien, son père lui répond promptement, sa mère régulièrement, d'autres membres de la famille y vont de leur petit courrier de temps en temps, tant et si bien qu'Edmond reçoit souvent des nouvelles et des vivres, du cuir, des chaussettes ou autres.

J'ai trouvé très touchante la façon dont ses parents se plient en quatre pour lui. A la moindre demande, ils lui envoient ce dont il a besoin. Son père, lui-même officier, devait connaître ce genre de situation, et a sûrement pensé que leur présence maximum par ces envois en nombre devait apaiser son malheureux fils. D'ailleurs ce dernier signale quand il ne reçoit plus de courrier ou de colis, la distribution n'est pas toujours régulière et les contrôles retardent les opérations. Alors on sent le ton monter, le jeune homme s'impatiente.

L'auteur voit défiler sous ses yeux la vie de son jeune grand-père, une vie monotone qu'il essaie d'égayer avec quelques occupations, comme la lecture, le travail manuel, le jeu, le raccommodage de ses effets personnels. Au détour de ces lignes, le petit-fils découvre des prénoms, des noms, des personnages, des lieux dont il ignorait l'existence. Un travail d'énigmes s'ajoute à la retranscription, quelques souvenirs d'enfance remontent à la surface, parfois les noms lui font écho, créant un certain bouleversement, le souvenir d'une photo, d'un objet, d'une image.

Un ouvrage de grande valeur pour son auteur, et un beau partage avec le lecteur de cette intimité, de ces secrets, de ces détails qui remontent de bien loin, lors de la Grande Guerre, qu'on connaît par l'Histoire avec un grand H, mais dont on découvre ici une tranche de vie pleine d'émotion.
Mes chers parents... 10 étoiles

C'est ainsi que commencent, et durant toute la captivité, les lettres d'Edmond, le "Cher jeune grand père" de Philippe Annocque . Je ne reviendrai pas sur les motivations de l'auteur très bien relatées par Nathafi. Mais dans ce livre, sorte d'autobiographie par personne interposée , l'effet de surprise est réel après l'univers angoissant, où la tête tourne, du "Pas Liev"...Par ce flot de lettres de son jeune grand père que Philippe Annocque a recopié une par une au fur et à mesure de la lecture, l'auteur nous embarque dans une sorte de nid douillet où la douceur et l'émotion s'installe peu à peu. Douillet par le fait qu'il est question de retrouver un aïeul qu'il n'aura pas connu et qu'il va lui aussi, comme nous , découvrir...Mais pas douillet du tout quand on sait d'où viennent ces lettres et dans quelles circonstances ! Je pense que nous sommes nombreux a avoir découvert des lettres et photos de nos ancêtres mais dans ce livre l'auteur prend un chemin particulier car il va les commenter au fur et à mesure, de ce qu'il pense, de ses recherches de souvenirs sur la famille, avec familiarité où l'on sent la tendresse s'installer. Car oui, dans ses lettres Edmond va faire régulièrement toujours les mêmes remarques sur les colis et lettres reçus ou non, il ne s'épanche pas trop sur ce qu'il ressent car, bien sûr la censure est là, les lettres sont vérifiées à chaque fois,. Mais pourtant, si Edmond ne semble pas vraiment trop souffrir de cet emprisonnement, il y est parvenu après "cette terrible bataille" à Verdun dans les tranchées dont ils sont sortis seuls rescapés lui et un soldat (dont on ne pourra vraiment savoir si ce dernier est celui qui l'accompagne dans le camp) ; puisque l'auteur lit les lettres au fur et à mesure on découvre qu'il y a eu un désordre dans le classement et la lettre où il relate son arrivée dans le camp est comme un coup de poing au coeur ! Le petit train train des lettres où la monotonie s'est installée ,prend d'un seul coup un autre relief. On sait ce qu'il a vécu dans les terribles affrontements, mais il ne pourra rien en dire et surtout écrire...
Heureusement les commentaires du petit-fils apportent quelquefois de l'humour, on se prend à chercher avec lui le sens d'un mot comme le point d'interrogation sur le mot "main" ; et bien "la main" que réclame Edmond est un gant de toilette ! Que j'ai utilisée toute mon enfance devant un évier pour me laver comme doivent le faire les prisonniers...Le petit-fils découvre des parents, des amis qui le conduisent à chercher dans sa nébuleuse des souvenirs.
Chaque soir avant de dormir Edmond m'a rejoint, ou le contraire, il est entré dans ma vie au même titre que mon grand-père qui lui n'a pas été prisonnier mais a été pris dans la même terrible guerre.
Philippe Annocque lui rend un bel hommage, il le fait avec délicatesse, persévérance, et tendresse , avec cet impératif de devoir de mémoire ! Un bel ouvrage .

Pieronnelle - Dans le nord et le sud...Belgique/France - 77 ans - 16 novembre 2023