Une lumière incertaine
de Arnaud Delcorte

critiqué par Débézed, le 21 octobre 2023
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Odyssée d'un migrant ruandais
Arnaud Delcorte est un poète qui, avec ce livre, aborde un genre nouveau pour lui : une fiction romanesque poétique, une sorte de roman écrit un peu comme de la poésie en prose. Il raconte l’histoire d’un migrant errant dans les rues de Bruxelles en évoquant plus largement ce peuple de déracinés qui cherche un autre sol pour vivre une autre vie que celle qu’il n’est plus possible de vivre dans le pays où ils sont nés. Son récit s’articule autour de chapitres qui abordent divers sujets, passant d’une déambulation dans les rues de la ville à un épisode de sa migration, d’une aventure amoureuse en Egypte, à Alger ou ailleurs encore, à une description très minutieuse d’un misérable refuge, d’une réflexion philosophique à un texte issu de la tradition orale ruandaise ou d’une autre source, biblique même dans un cas au moins.

Tout en étant surtout, pour moi, un exercice littéraire, ce texte évoque donc plusieurs sujets : le drame des migrants, l’accueil qui leur est réservé, les combines qui permettent de survivre et même la chaleur humaine apportée par certains individus ou organismes ; l’indifférence de la plupart des autochtone devant la misère des déplacés ; les persécutions infligées par les forces de l’ordre et certains extrémistes xénophobes et nationalistes ; l’amour parce qu’un migrant peut lui aussi être amoureux même quand il est homosexuel et qu’il a subi les violences sexuelles dans son enfance et, surtout le drame ruandais où le même individu n’est pas toujours du même côté de la machette, parfois coupeur parfois coupé. Le drame ruandais qui ne se limite pas au Ruanda mais englobe les régions limitrophes où sont installés, dans la plus grande misère, des millions de réfugiés. C’est aussi la description de l’exode par le Burundi, le Soudan, l’Egypte, Alger, Marseille avant d’arriver à Bruxelles où ce migrant ne trouve aucune solution à sa situation si ce n’est un possible amour…

Ce texte c’est surtout de la poésie, une vie de misère, la quête d’un avenir, le souvenir enchanteur d’un pays de cocagne, l’impossible oubli de la violence et de la misère, la recherche d’un amour pour oublier l’emprise sexuelle d’un adulte trop pressant. Plus qu’un texte, ce texte est comme un recueil qui évoque des sujets divers reliés par un fil rouge constitué par la vie de ce migrant qui n’a pas oublié sa culture originelle et les chansons qu’on lui chantait quand il était enfant.

Arnaud revient sur le drame ruandais non pas pour faire vibrer notre pathos comme beaucoup d’auteurs l’on fait, à juste titre, mais pour nous dire que ces êtres en errance peuvent être aussi des individus sensibles, cultivés, des poètes parfois qu’il convient de considérer comme des gens doués de sensibilité et d’humanisme qui éprouvent les mêmes sentiments que les sédentaires des pays mieux nantis que les leurs.

J’ai apprécié cet exercice littéraire au service de ces individus mal considérés qui ne manquent pas que d’un toit et de vivres mais aussi d’amour et de considération. La dimension poétique de ce texte permet de mieux comprendre cette dimension de l’exode forcé dont ils sont les victimes.