La moindre mesure du monde
de Jean-Pierre Otte

critiqué par Voiz'art, le 30 septembre 2023
( - 53 ans)


La note:  étoiles
Présence au réel du monde
Au début de l’hiver, Jean-Pierre Otte éprouva la nécessité d’un égarement. Il était resté trop longtemps à sa table à transcrire des mythes de l’origine et à rapporter dans une écriture les mues et la métamorphose des insectes avant l’étreinte. Aller marcher sans pensées le long d’un rivage, c’était ce qui convenait.
Il y avait en lui l’idée d’une petite stratégie, voire même d’une certaine rhétorique dans la retenue, pour ne plus me laisser imprégner par les images (ni les produire), et permettre au contraire la présence au réel du monde. Il avait le souci de se détendre véritablement, au partage des prodiges ordinaires, dans une disponibilité d'esprit qui fait de l’existence une aventure presque personnelle. » (Début du livre)
Sous forme de livret, un récit étonnant d’une trentaine de pages, écrit dans les années quatre-vingt-dix et resté inédit.
Un extrait magnifique parmi d’autres :

«  Ce fut ensuite, errant le long du rivage, que j’observai mon ombre. N’est-elle pas la preuve indéniable de la présence, ou un prolongement qui échappe au piège du dedans pour se manifester dans le champ extérieur ? Si je me penchais sur elle comme pour me fondre, je ne réussissais qu’à l'amoindrir et, à l’instant de la jonction, elle disparaissait, absorbée par la chair ; il ne restait que moi, pour moitié. Elle évoluait dans une danse ondoyante, fidèle à mes mouvements (ou moi, articulé à elle), si librement désinvolte que j’eus le sentiment que l’ombre n’est pas liée à nous ; c’est nous, au contraire, qui lui sommes obligés. Je continuai de marcher au hasard, de-ci de-là, pour la voir onduler, s’allonger, s’incliner, se précipiter parfois sans laisser de traces, et obtenir ainsi une idée calligraphique de moi, errant le long d'un rivage. »
Voiz’art