Ce que je sais de toi
de Eric Chacour

critiqué par Homo.Libris, le 22 octobre 2023
(Paris - 58 ans)


La note:  étoiles
Mon histoire de toi
L'histoire.
Le Caire, début des années 1980. Tarek, jeune médecin, suit le destin tout tracé pour lui. Entre le luxueux cabinet de son père et le dispensaire qu'il a lui-même ouvert dans un quartier déshérité, entre femme, mère, et sœur, il a peu de temps pour remettre son existence en question. Mais la rencontre d’un jeune homme que tout semble éloigner de lui, ébranle son mariage, sa carrière, et ses certitudes. Un drame le pousse à l’exil dans le grand froid canadien.
Mais, au Caire, quelqu’un raccommode les lambeaux de son histoire et tente de remonter, chapitre après chapitre, le cours de sa vie, préparant - qui sait - l'avenir.

Mon avis.
Pour un premier roman, c'est plutôt une réussite.
La construction est maîtrisée : quatre narrations (Toi, Moi, Nous, et un "chœur"*) s'entremêlent de façon presque linéaire, respectant peu ou prou la chronologie, brisée de-ci de-là de quelques analepses. L'auteur développe son récit graduellement et retient l'attention du lecteur de bout en bout. Le thème principal du roman, "l'homosexualité dans une société conservatrice de l'Égypte des années 1980", ne peut échapper à l'évocation de "Le dernier combat du Captain Ni'Mat" de Mohammed LEFTAH, récit de la passion dévorante d'un Cairote quinquagénaire, bourgeois établi, mari aimant, bon père de famille, pour un jeune serviteur Nubien à la beauté étincelante. Les deux romans abordent quelques thèmes similaires, développés différemment.
Le style est d'une grande qualité d'écriture, d'une richesse de vocabulaire indéniable, ce livre respire l'orfèvrerie du verbe, l'amour de la phrase. Au début, j'ai été quelque peu décontenancé par le tutoiement de la première partie, sentant indubitablement que le narrateur ne s'adresse pas au lecteur… Et pour cause, il le revendique clairement au chapitre 46 : c'est "mon histoire de toi"… Néanmoins, cela ne m'a pas empêché d'entrer dans l'histoire et de poursuivre ma lecture. Et heureusement, car ce tutoiement prend tout son sens en abordant la narration de "je" ! La tournure de style "Mira-adjectif", adroitement utilisée plusieurs fois, n'est pas sans rappeler le "Clara-adjectif" de l'excellent "L'agneau carnivore" de Agustin GOMEZ-ARCOS.
Cependant, malgré ces qualités indéniables, quelle ne fut pas ma déception de relever sous cette plume agréable et poétique, plusieurs mésusages linguistiques, approximations sémantiques, et psittacismes foireux** de chroniqueurs du PAF ! Jamais je n'ai surpris ces erreurs grossières dans la bouche d'amis ou sous la plume d'écrivains Québécois ou Levantins amoureux de la langue française, et je suis étonné qu'Éric CHACOUR, Québécois d'origine levantine, issue d'une famille francophile, utilise de tels vocables aussi vagues qu'imparfaits. A contrario, je n'ai noté aucun québécisme !

Pour finir, mauvais point aux Editions Philippe Rey. Le livre souffre d'une médiocre qualité d'impression : de nombreux mots n'apparaissent que partiellement, l'encre n'ayant pas imprimé le papier !

* pour utiliser un terme du théâtre.
** "Renseigner" un document administratif ; "une" après-midi – même si l'Académie dans son nivellement par le bas, avalise cette erreur - ; Merci "pour" ; "Échanger" au lieu de discuter ; "Faire" utilisé pour "Dire", alors que l'auteur écrit : "[…] faire (mot que Mémie jugeait sévèrement […] tant il couvre un nombre invraisemblable de réalités, au point de ne plus rien signifier)" (p. 182) ; etc.
Un premier roman réussi 7 étoiles

Tarek est devenu médecin, sous l'impulsion de son père lui-même médecin. Il mène une vie tranquille avec son épouse dans les années 80 en Egypte. Il est copte et témoin de l'évolution politique que connaitra Le Caire et son pays. Sa vie va basculer quand il répondra à la demande du jeune Ali qui a besoin de lui pour qu'il vienne ausculter sa mère. Il se rendra régulièrement chez eux et ressentira progressivement une attirance pour le jeune homme ...

Le récit à la deuxième personne du singulier peut surprendre le lecteur même si ce procédé a déjà été utilisé, sans pour autant que ce soit avec les mêmes ressorts que d'autres écrivains. Il y a aussi la première personne du singulier parfois qui semble instaurer un dialogue. Je n'en dis pas plus pour ne pas gâcher la lecture de prochains lecteurs. La langue est belle, classique et précise. Elle n'a pas une empreinte particulière, ou un style clairement identifiable, mais elle est élégante. Les chapitres sont plutôt courts et invitent le lecteur à poursuivre la lecture. C'est un roman qui se lit assez vite car l'écrivain maitrise sa narration et sait suffisamment intriguer le lecteur pour que l'on ressente l'envie de poursuivre la lecture.

La peinture de l'Egypte en toile de fond est vraiment intéressante et permet de découvrir cette période de changements, de constater ce que sont les coptes dans ce pays et de prendre conscience une nouvelle fois de l'hypocrisie qu'il peut régner dans certains pays au sujet de l'homosexualité. Le personnage principal est intéressant aussi et le lecteur sera curieux de voir comment s'est construite son identité et comment il est perçu de l'extérieur. La quête de ce personnage est touchante à certains égards. Comme dans un roman policier, le lecteur récupère des informations pour donner du sens à cette vie romanesque.

L'écrivain ne tombe pas dans certaines facilités de narration. Il sait surprendre son lecteur et se montrer d'une grande justesse dans sa façon de construire son récit. C'est un premier roman réussi qui a déjà remporté de nombreux prix car il a su toucher un large lectorat.

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 12 octobre 2024


une histoire d'amour interdit 9 étoiles

Ce que je sais de toi


Qui est le narrateur qui s'adresse à Tarek, ce médecin égyptien ?
Ne cherchez pas ! Vous finirez par le deviner puis par le savoir.
Cette fiction se déroute en Egypte au moment et après la guerre des six jours, dans un pays qui tout en se modernisant garde les séquelles du passé.
La société reste fermée derrière des interdits même chez cette minorité des coptes – la minorité chrétienne du Caire.
Tarek, fils d'un médecin qui vient de décéder, vient de s'engager sur les traces de son père, il fait des études de médecine et ouvre un dispensaire dans un quartier pauvre et défavorisé du Moquattam.
Il compte sue une grande « clientèle » et une notoriété qui ne fait que grandir....
A trente ans révolus, il se marie avec un amour de jeunesse revue, ils s'aiment et tout va bien jusqu'au jour où il rencontre un jeune homme Ali auquel il se lie.
L'amitié se mue très vite en amour interdit à un homme « bien né », marié en plus.
L'homosexualité est encore un interdit dans ce pays comme dans beaucoup d'autres à la fin du 20ème siècle.
Tarek est ébranlé, pris en étau entre cet amour qu'il doit cacher et son affection pour son épouse dans un environnement qui finit par apprendre cette liaison.
C'est un récit attachant, écrit avec brio mêlant l'histoire de ce médecin et la description d'une société en pleine transformation prisonnière d'un archaïsme sociétal .
C'est un roman attachant qui très vite nous invite à ne pas abandonner mais à poursuivre sa lecture pour en savoir plus.
C'est un peu comme un livre à suspense alors que n'existe aucun lien avec une intrigue policière .
Pour un premier livre d'un auteur, c'est un coup de maître !

Jean-François Chalot

CHALOT - Vaux le Pénil - 76 ans - 19 avril 2024