Les cent plus beaux poèmes de la langue française
de Jean Orizet

critiqué par Froidmont, le 23 septembre 2023
(Laon - 32 ans)


La note:  étoiles
Des choix, des heureux, des rageux
Le titre nous dit tout du projet que poursuit Monsieur Jean Orizet dans cette anthologie.

Accordons-le d’emblée : nourrir un tel projet, dans les douces chaumières ne peut qu’entraîner ou des protestations ou des pluies de vivats, selon qu’on s’y connaît ou ne s’y connaît pas. « Comment ? Parler d’Hugo sans y coucher un mot ou de Melancholia ou, encore plus beau, du poignant souvenir de cette nuit du 4 ! » « Limiter Aragon à tout l’art de s’ébattre ? Certes il a écrit des poèmes d’amour, et les plus beaux qui soient, éclatants comme jour, mais ne mettre que ça, c’est oublier, ma foi, quand il mêla la rose avec le réséda. » « Épépiner Paul Fort, réduit à ses comptines, c’est boire du grand vin pour en garder l’urine ! » (La chute est un peu forte, elles ont des splendeurs, mais j’aurais aimé voir le beau dit du jongleur, « Ce bleu château lointain, bleu mais blanc comme un cygne », Le jet du Luxembourg, … Absents ? Que c’est indigne ! En amoureux transi des poèmes fortiens, je tenais à râler sur ce tout petit rien, en faire une forêt couronnée de montagnes, la dystopie naissante au pays de Cocagne, la braise devenue brasier dans la maison.) Et toujours rien, bon sang ! pour mon Lautréamont !

Soyons neutre et posons que ce petit recueil entre ses pages blanches célèbre et accueille cinquante et six auteurs d’époques différentes, de ce cher Rutebeuf et sa bise qui vente à la plume acérée, aux écrits insolents du trop tôt emporté et vaillant Boris Vian. Notons aussi ceci, il le fait sans blabla, sans ajouter sur eux quelque écrit que ce soit, si ce ne sont leurs dates en dessous du nom qui justifient leur ordre en cette floraison. On pourrait reprocher un recueil paresseux. J’y vois une fenêtre ouverte sur tous ceux qui peuplent ce recueil ; une invitation à creuser plus profond, avec délectation, l’œuvre de ce poète dont le vers fit mouche et dont on souhaiterait en avoir plus en bouche. Je l’affirme, en effet, ce silence critique ne laisse que l’auteur, son art et sa technique et permet au lecteur de faire un jugement qui soit tout à fait sien et non pas dépendant.

Par contre regrettons de voir si peu d’écrits d’autres représentants de la francophonie, si ce n’est Hérédia pour deux petites flammes. Regrettons tout autant qu’il n’y ait que deux femmes : Marie de France aurait pu gratter une place, ou Louise Ackermann ou bien rendre des grâces au travail important autant que méritant que fit de son vivant Christine de Pizan.

C’est le démon du choix qui ne peut que laisser au moins autant charmé qu’affreusement frustré. Mais c’est aussi un charme qui nous dit tout bas : « Si les choix que je fis ne vous contentent pas, retroussez vous les manches et montez aussi avec vos propres goûts une autre anthologie ! » Mais ne nous dites pas, cher Monsieur Orizet, que pour monter cela vous vous êtes forcé à tenir en respect la sensibilité pour ne tout choisir qu’en toute objectivité ; car une anthologie fait la cartographie de l’âme d’un lecteur qui se dévoile ainsi. Fi des compilations faites en scientifique, car la littérature n’est pas si statique : elle est le mouvement, le torrent et le vent, le battement d’un cœur, la trace d’un vivant. Et ces gens bien sérieux qui veulent l’arrêter, lui imposer un sens et une fixité n’ont au fond rien compris à ce qu’ils étudiaient. Alors aimons en toute subjectivité !

Oui, in fine, on passe un délicieux moment. L’erreur est de chercher à lire les absents. Contentons-nous de ceux allongés sur ces pages qui fournissent chacun de merveilleux ouvrages.