Sculptures des sables
de Eric Chartier

critiqué par Eric Eliès, le 12 septembre 2023
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Sculptées par le sable, la mer, le soleil et le vent
Comment, devant les photographies de ce très beau recueil de grand format, ne pas songer au titre du recueil de Marguerite Yourcenar : " le temps, ce grand sculpteur " ? L'auteur, Eric Chartier, a longtemps travaillé, au sein de l’ONF, à la préservation du littoral landais et à la stabilisation des dunes. Dans une courte préface, il explique que l’une des techniques de ce vaste chantier, lancé à la fin du 19ème siècle, consistait à ériger sur les dunes des palissades en pin qui cassaient le vent et retenaient le sable. Ces planches, peu à peu ensevelies et disloquées, ont été érodées par le soleil, l’air salin et le sable, et se sont transformées au fil des années, comme lentement sculptées par une main invisible qui leur a donné des formes à la fois tourmentées et régulières, où l’œil distingue des formes et des motifs d’une mystérieuse beauté.

Eric Chartier nous propose des photographies d’ensemble et de détail, qui font irrésistiblement songer à des œuvres d’art plantées en pleine nature, entre la terre sableuse et le bleu du ciel. Bien des artistes rêveraient d’être capables de composer de telles arabesques dans les courbures et les ondulations du bois patiné par les ans, ou d’impulser pareil élan dans la verticalité des planches décharnées et blanchies, dressées comme d’étranges silhouettes hiératiques rêvées par Brancusi ou par Giacometti, où des nœuds, des fissures, des rides, des sillons et des fentes esquissent des yeux et des bouches comme si elles attendaient un souffle de vie… On ne sait plus ce qu’on regarde dans ces formes troublantes, où la patine et les craquelures du bois semblent épouser le grain et la couleur d'un vieux cuir : elles ont à la fois la beauté des ruines et la fragilité délicate du vivant, comme si elles appartenaient simultanément à tous les règnes minéral, végétal et animal !

Les photographies, le plus souvent de grand format, en pleine page, sont accompagnées de courtes citations poétiques, principalement de Guillevic mais également de Paul Eluard, d’Andrée Chédid, de Michel Onfray, d’Henri Thoreau, etc. qui évoquent le passage du temps, le rapport de l’homme à la nature et la présence, muette et invisible, des choses :

La nature s’est prise aux filets de ta vie. L’arbre, ton ombre, montre sa chair nue : le ciel. Il a la voix du sable et les gestes du vent et tout ce que tu dis bouge derrière toi
(Paul Eluard)

Nota : même si le livre porte le sigle de l'ONF, il s'agit probablement d'une auto-édition car on ne trouve aucune mention d'éditeur et de copyright, ce qui explique probablement le prix un peu élevé de l'ouvrage (26 euros) pour un livre broché au format d'une revue d'art, même s'il est très joliment imprimé sur papier glacé.