Le Cinquième évangile
de Han Ryner

critiqué par Cyclo, le 6 septembre 2023
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
Un anar raconte Jésus
Je recommande vivement ce "cinquième évangile" (paru en 1911 et heureusement réédité récemment par les éditions Théolib) de Han Ryner (1861-1938), cet écrivain philosophe et journaliste, anarchiste (il a lutté avec Louis Lecoin pour obtenir le droit à l’objection de conscience) qui a cru possible d’écrire un nouvel évangile, dans l’admiration qu’il avait (comme moi) du personnage de Jésus.

Il le dépouille d’entrée de sa divinité. Son Jésus est un homme, un sage, qui opte pour la non-violence, contre la richesse matérielle, pour la liberté de la vie intérieure (le royaume de Dieu à atteindre est un royaume intérieur de justice et d’amour), et il dénonce ses disciples qui ne comprennent rien à sa prédication, et rêvent de pouvoir et de gloire (allusion à la future papauté ?). Ryner fait dire à Jésus : "Perdre son âme, n’est-ce pas la donner aux choses ? N’est-ce pas la donner aux richesses, aux royautés ou même au désir lâche de vivre longtemps ?".

"Le règne du Christ […] sera venu […] lorsque tous les hommes vivront comme des frères". Le Jésus de Ryner ne se prétend jamais le Christ, ce sont les disciples qui veulent en faire le fils de Dieu ! Quand il est livré à Pilate, il lui dit : "Je n’ai jamais tué personne et je n’ai jamais marché dans les chemins tortueux de l’injustice. Comment oses-tu me demander si je suis un roi ou un gouverneur ?" Il ne commande pas de suivre la loi des hommes. À la femme adultère, quand tous les spectateurs venus pour la lapidation sont partis, il dit : "Je ne te condamne pas non plus. Car je ne sais pas les mots qui condamnent. Et peut-être tu as péché seulement contre la Loi : or, ce n’est point la un péché. Va-t-en donc, femme, et ne pèche jamais contre ton cœur".

C’est un Christ homme qui est montré qui fait comprendre à ceux qui le suivent que "la joie de celui qui donne ne devient pas, comme la joie de celui qui acquiert, trouble et inquiétude", que "le goût de ce que tu possèdes est dans ton cœur et non dans les choses", que "celui qui fait un héritage se réjouit aujourd’hui. Mais après qu’il a dormi sur sa joie, au matin il trouve qu’elle est gâtée". Ses miracles n’en sont pas vraiment, mais plutôt des métaphores : "parce qu’il avait apaisé la tempête de la peur, les disciples croyaient que c’était lui qui avait apaisé la tempête des eaux". Et jamais il ne donne l’impression de parler avec "autorité", mais simplement avec une réelle liberté : "Heureux les miséricordieux, car ils n’obtiendront miséricorde, ni sur la terre ni dans le ciel. Mais ils sont ceux qui n’ont point besoin de miséricorde ; et comme la source est plus haute que le fleuve, ils sont au-dessus de la miséricorde".

Avec ce livre, nous redécouvrons un Jésus homme, terriblement humain. Même la résurrection n’en est pas une : quand on le décroche de la croix, et qu’on le porte dans le caveau prévu, on s’aperçoit qu’il respire encore. Ceux qui l’ont sauvé le cachent et bien sûr, le tombeau est vide. Puis Jésus sort de nouveau, rencontre ses disciples et ce sont eux qui inventent le mythe de la résurrection sur lequel ils vont fonder une religion nouvelle, devenue à son tour la loi qu’on doit suivre à la lettre. Mais Jésus leur avait dit avant : "En vérité, en vérité, je vous le dis, esclaves de la lettre et qui, au nom de la lettre, tyrannisez vos frères, la lettre tue, mais l’esprit vivifie". L’esprit et aussi le cœur : "Celui-là qui ne connaît pas la vérité de son cœur, qu’il devienne semblable à un muet jusqu’à ce qu’il connaisse la vérité de son cœur".

Un livre vivifiant, qui donne envie de lire d’autres livres de cet auteur. Victor Hugo aurait aimé !