Éphémérides
de Patrice Franceschi

critiqué par Eric Eliès, le 29 août 2023
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Une poésie au ton japonisant, inspirée par la mer et l'aventure
Patrice Franceschi est un des grands explorateurs aventuriers de notre époque. Aviateur et marin, il a baroudé sur tous les continents et a organisé, parfois avec le soutien de la Marine nationale, plusieurs expéditions scientifiques ou humanitaires au long cours sur son navire, une goélette nommée « La Boudeuse » en hommage à Bougainville, qui fut le premier navigateur français à accomplir, au 18ème siècle, une circumnavigation. Il s’est également engagé auprès de mouvements de résistance en plusieurs endroits du monde, n’hésitant pas à séjourner dans les zones de combat pour apporter un soutien logistico-humanitaire et médiatique. Il a ainsi côtoyé pendant une dizaine d’années les combattants et combattantes kurdes de Syrie, et a écrit plusieurs livres (essais et romans) pour dénoncer leur abandon par les puissances occidentales, qui s’étaient pourtant considérablement appuyés sur eux pendant la lutte contre Daech.

Ce livre est le premier recueil poétique de l’auteur, qui a déjà publié de nombreux ouvrages dans des genres différents (récits, essais, romans, nouvelles), dans lesquels il m’a semblé être plus à son aise. Le recueil s’ouvre sur une note explicative du formalisme des poèmes, composés dans le style « kor-waï » (4 vers, 17 pieds au total, sans rime) vaguement dérivé du haïku. Néanmoins, ces règles ne sont pas toujours scrupuleusement respectées, comme si ce formalisme (dont je n’avais jamais entendu parler, même dans des anthologies de poésie japonaise) n’avait été au fond pour l’auteur, plus soucieux de l’esprit que de la lettre, qu’un moyen d’affirmer la nature poétique de ces textes très brefs, à l’écriture simple, et qui se lisent aisément.

Le recueil est composé de 4 suites de poèmes « kor-wai », respectivement intitulées « Kor-Wai de la rivière Ouche » (qui est une petite rivière de France), « Kor-Wai de la savane », « Kor-Wai de la forêt vierge » et « Kor-Wai de la Tombe-Issoire » (qui est une rue de Paris). Chacune a sa tonalité propre, mais toutes sont portées par le désir d’ailleurs, par le besoin irrépressible d’échapper à l’enfermement des cités et de partir au loin sur les chemins ou vers le large. Ce souffle de liberté se double d’un appel à la lutte et au combat, et évoque également les drames de la souffrance humaine. Comme en contrepoint, les poèmes expriment un épicurisme de l’instant, comme une incitation à jouir du présent qui ne reviendra pas, dans la caresse du vent ou l’étreinte des femmes.

Je recopie ci-dessous quelques poèmes, au hasard des pages :

p.13 (poème ouvrant le recueil)
Dans mes veines
Lave, feu, flammes rouges
Brûle, coule et crie
Tout

***
p.27
Sur un quai de nuit blanche
Face aux grands cargos vides
Un marin
Assis

***
p.37
Dans un lit
Aux grands draps apaisés
Deux corps nus
Endormis

***
p.45
Souffle d’air
Sur l’ombre des vents
Je vis
Et vais liberté

***
p.53
Dans la foule
Ténébreux les yeux crevés
Un poète
Egaré

***
p.66
Mon crâne
Creuset des brasiers brûlants des mondes
Comme un cœur
Palpite

***
p.77
Des gouttes de jungle
Tintent en rond
Flic-flac
Dans la mare de mes rêves.

***
p.85
L’écume de l’eau blanche
Dans le sable blanc
Passe
Et tout s’en va

L’écume de l’eau
Dans le sable
Revient toujours
Mais je m’en vais

Je suis l’écume
Et le sable
Et le départ et le retour
Amen…

***
p.93
Devant trois navires
A quai
Un homme immobile
Les mains dans les poches

***
p.105
Claque au vent des nuits
Une voile étrange
Claque au vent
Qui l’emporte

Ces poèmes pourraient être émouvants ou poignants mais l’écriture, simple et directe, au lyrisme presque « naïvement » romantique ou exotique, manque de densité. Même si certains poèmes, descriptifs comme de petits instantanés pris sur le vif, ont parfois éveillé quelques souvenirs de mon vécu personnel de marin, sur le port ou au large, les poèmes manquent trop de profondeur pour toucher intimement le lecteur. On est très loin des poètes majeurs qui parviennent, dans l’expérience de l’immersion sensorielle au sein de la nature, à exprimer le ressenti des sensations et des sentiments pour susciter les traces et les signes de la présence charnelle du monde, dans la totalité de ses nuances et de ses mystères.

Le recueil s’achève avec une cinquième suite, intitulée « Poèmes des Méridiens », aux poèmes en vers libres. Le ton est léger et fantaisiste, comme une poésie pour enfants qui prête à sourire ou à s’émerveiller de l’exotisme des noms de lieux. On y trouve également quelques poèmes à bouts rimés, où s’épanche à nouveau un lyrisme qui confond la poésie « vraie » et l’éloquence faite pour séduire et charmer :

Les femmes sont comme des navires
Aux grands mâts
Elles chaloupent pour qu’on les chavire
Dans nos bras

Mais dans les tempêtes qui malmènent
Les plus forts
Elles sont les seules voiles qui emmènent
Jusqu’au port

En définitive, le recueil, qui se lit très aisément, a les défauts de ses qualités. L’auteur n’a pas une écriture véritablement poétique mais il a le souci d’essayer d’entrelacer la vie et la poésie. A un amateur de poésie, le recueil paraîtra simpliste et parfois un peu trop mièvrement lyrique, avec des accents surannés de poésie de salon, faite pour divertir et charmer un auditoire, qui est paradoxalement aux antipodes de ce qu’incarne - et probablement recherchait – l’auteur. En revanche, de jeunes lecteurs, enfants ou adolescents, seront sans aucun doute touchés par la ferveur presque naïve des poèmes, qui éveilleront en eux le goût de l’aventure et de la liberté, et leur montreront que la poésie se nourrit de la vie vécue davantage que d’érudition ou de littérature.