Bleu Ballerine
de Catherine Coq

critiqué par Débézed, le 26 juin 2023
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Une dernière lettre d'amour
Catherine Coq, sage-femme devenue écrivaine puis titulaire d’un master avec un mémoire sur un texte d’Annie Ernaux, est aussi l’auteure de La chronique du périnée, un ouvrage dont la publication et la médiatisation ont connu un certain retentissement dans les médias et les réseaux sociaux. Elle publie, en mai dernier, ce nouveau roman qui évoque la fin de vie et surtout la vie des femme dans toutes ses dimensions : affectives, charnelles, physiologiques, sentimentales, matérielles, …

Ce roman c’est l’histoire de la fin de vie de Perle, une vieille, très vieille, dame, âgée de cent-trois ans qui sent sa fin approchée et qui veut, avant de partir ailleurs, revoir Meng, son amant, son premier amour, son amour de toujours. Alors, pour qu’il vienne lui donner un dernier baiser, elle lui écrit une lettre, une très longue lettre, qu’elle rédige la nuit quand sa femme de compagnie n’est pas là. Elle s’épuise tant qu’est plus, finit souvent ses nuits avachie sur son lit, à même le sol ou encore sur son prie dieu. Madeleine, la jeune africaine engagée par ses enfants, âgés eux aussi, qui lui tient compagnie, la gronde souvent, elle craint de la retrouver inanimée et même morte. Perle ne s’en laisse pas compter, elle reprend souvent la jeune fille sur son mauvais français, ses expressions vulgaires et triviales et ses néologismes tout droit issus des quartiers populaires.

Un dialogue surréaliste s’instaure entre les deux femmes, Perle propose à Madeline de lui apprendre à parler correctement le français, la belle langue, celle qu’on apprenait à l’école à son époque en échange de son apprentissage de l’utilisation d’un smartphone et de la maitrise de quelques mots du jardon actuel. Ce jargon qu’elle arrange souvent à sa façon, par exemple, elle dit une « semeuse » pour dire un « essetmesse » (SMS). Autour de cet accord, les deux femmes construisent une vie commune au-delà du choc provoqué par les différences de leur culture respective. Madeleine accepte les excentricités et les débordements de Perle et celle-ci conseille Perle sur ses relations avec les hommes qu’elle contacte sur les sites de rencontre, en la mettant en garde contre les risques de mauvaises rencontres et en la conseillant sur la gestion de ses amoureux.

Ainsi Madeleine apprend non seulement le belle langue mais aussi la vraie vie des femmes, celle que Perle a mené avec son mari Jean qui a toujours su qu’elle avait aussi Meng dans sa vie. Elle écrit à Meng en s’adressant à Jean, ou vice-versa, elle mélange un peu tout son appartement avec l’hôtel où elle descendait chaque année dans la Manche. Mais, cette confusion ne lui fait pas perdre l’essentiel de la fin qu’elle souhaite organiser pour sa longue vie : Meng doit venir la voir, Jean l’attend dans son ailleurs, ses enfants ne s’occupent pas assez d’elle et pour cela comptent sur Madeleine. Une relation douce, tendre, sensuelle même, sincère et parfois tendue, s’instaure entre la bourgeoise française et la jeune africaine, la confiance est de mise et les deux femmes s‘attachent l’une à l’autre tant pratiquement qu’affectivement.

Catherine a retrouvé la belle langue qu’écrivait les grands auteurs du temps d’André Gide et autres de la même époque. Elle maitrise joliment le vocabulaire, le style, la poésie qui nimbe son texte pour le remplir d’émotion, de douceur, de tendresse, de sensualité, de sensibilité, …, dans de longues phrases qu’elle fait couler de la plume de Perle. Perle qui écrit des lettres d’amour brûlantes, torrides, envoûtantes, comme personne ne sait plus en écrire. Une langue que Madeleine apprend et découvre dans les livres de Perle en même temps que l’art d’aimer que lui enseigne sa patiente. L’une soulage le corps, l’autre soulage le cœur.

Ce texte foisonnant, d’une grande densité, est, comme le dit l’éditeur, une leçon de littérature et de bien parler, d’amour sentimental et charnel, de sensibilité et de de sensualité. Une leçon de vie et de tolérance à l’abri de tous les excès prônés par toutes les religions et autres croyances. « Pas de croix, pas de voile, pas de kippa sur l’espace public, que le religieux rejoigne l’intime de chacun et nous serons heureux tous ensemble… ». Madeleine a recueilli le dernier soupir de Perle, elle a appris la belle langue et l’art d’aimer en se faisant respecter.