Bien accueillir son prisonnier
de David Jauzion-Graverolles

critiqué par Débézed, le 13 juin 2023
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Une famille dans la guerre
La fille d’un prisonnier de guerre de la Deuxième guerre mondiale demande à son cousin qui s’échine pour terminer très péniblement une thèse de lettres grecques, d’écrire l’histoire de son père qui n’a laissé aucun témoignage derrière lui, il a tout détruit et, comme son épouse est illettrées, on ne sait rien de lui et notamment de sa détention en Allemagne. La seule source d’information, c’est Marie, son épouse excellente cuisinière, qui radote un peu mais se souvient encore de beaucoup de choses qu’il faut sans doute interprétées.

Le cousin se met à la tâche et rencontre Marie sa tante qui, à chacune de ses visites, le gave comme une oie au risque de le rendre malade. Maire raconte ce dont elle se souvient, répète sans arrêt, les mêmes choses dans des variantes différentes mais laisse aussi échapper quelques informations qui traversent furtivement sa mémoire ou qu’elle espérait cacher à jamais. L’auteur raconte dans un texte dense, à la limite du touffu, une histoire qui évoque par certains côtés, la fameuse série : « Un village français ». L’histoire d’un couple, d’une famille, plongées dans une petite ville au cœur de la France rurale pendant la Deuxième guerre mondiale.

il raconte comment Marie et Jean se sont rencontrés, se sont mariés, on eut une fille avant que Jean doive partir pour la guerre, la Drôle de guerre, puis la captivité effectuée dans deux fermes dans le Bade-Wurtemberg, il doit quitter rapidement la première car une jeune allemande, bien que ce soit strictement interdit, est tombée amoureuse de lui. Il est finalement envoyé dans une troisième ferme sur les bord de la Weser où il est très bien accueilli et considéré. Il sait que son épouse lit très mal et très peu, il a détruit tout ce qui le rattache à cette époque et manifeste sans cesse le désir de retourner en Allemagne sur ses lieux de captivité.

Pour mener à bien son entreprise, l’auteur raconte l’histoire que Jean a pu vivre dans l’armée, pendant la débâcle et en captivité, pour cela il se réfère à toutes les informations disponibles qu’il complète et recoupe avec les propos de Marie qu’il insère dans son texte. Il y ajoute aussi divers documents, des notes qu’il a prises à l’occasion de recherches ou de discussions, les propos de Crétinon, un ami affecté dans la même compagnie que Jean, des remarques toujours acerbes, pessimistes, désabusées, apocalyptiques, … Et, ainsi, c’est toute la vie d’une petite ville qui revit sous la plus du cousin, une ville dans la guerre, une ville après la guerre avec ses exactions, ses tensions, ses modifications de la société. C’est aussi le monde de l’après-guerre, chez les gendarmes pour Jean. C’est tout un petit peuple de la cité, des amis de la guerre, de la captivité mais surtout de la gendarmerie qui gravite autour de Marie et Jean, des familles qui se font et se défont, des amis qui disparaissent, des voisins enrichis ou ruinés, … Un autre monde se construit et Nicole ne sait toujours pas ce que son père a vécu et pourquoi il est tellement attiré par l’Allemagne.

Alors le cousin cherche, écoute encore et encore Marie, écrit tout ce qu’il récolte pour construire l’histoire de ces petites gens qui ont fait l’histoire de la France de cette triste époque. Il évoque des sujets restés un peu tabou : l’histoire de ces femmes restées seules, délaissées, frustrées, de celles qui ont failli, de celles qui ont courageusement enduré ce veuvage à durée déterminée, l’histoire de ces femmes qui ont fait vivre le pays sous la botte de l’envahisseur avec des maigres ressources alimentaires et autres. L’histoire aussi des hommes qui ont vécu une autre vie parfois inhumaine dans des camps de torture, parfois moins dure dans des fermes où les hommes étaient partis pour la front russe, certain prisonniers ont pris leur place. Jean était de ceux-là. Il raconte les rencontres faites à la guerre, en captivité, dans la gendarmerie, …, la détention, le sort des juifs, tout ce qu’un homme plongé au cœur du conflit a pu vivre pendant cette abominable guerre. J’ai retrouvé, avec beaucoup d’émotion, un peu de ce que mon père m’a raconté sur son propre parcours, la drôle de guerre, la déroute, la captivité, l’effritement du peuple allemand, les nazis fanatiques jusqu’au dernier jour, le retour dans la famille où le père n’est plus. Ces soldats partis comme des patriotes convaincus et qu’on a trop souvent considérés que comme vaincus ayant fui le combat.

Au début, j’ai été un peu perdu dans ce texte complexe, touffu, rempli des propos en langue parler de Marie, de documents, de notes, d’allusions à la mythologie grecque, de références culturelles, …, le tout dans une langue vernaculaire comme elle existait dans ce coin du Dauphiné dans les années trente. Mais progressivement je me suis imprégné de l’esprit des personnages du texte, de son ton, de son atmosphère, de ses respirations, de ses silences, ..., et j’ai alors pu goûter toutes les émotions qu’il contient et je me suis laissé transporter dans cette histoire et dans toutes ses ramifications au point de le recoller à ma propre histoire qui comme celle Marie et Jean appartient à celle de la France des campagnes bousculées par les conséquences de la dernière guerre.