Danto on Scully
de Arthur C Danto

critiqué par JPGP, le 3 juin 2023
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Le poète et son double
Rares sont les peintres susceptibles de répondre au souhait que Danto souhaitait à travers les mots de Schopenhauer : « la suppression et l'anéantissement du monde ». Le poète féru de peinture et d'histoire de l'art, érudit, amoureux de l'érudition (mais qui pour son écriture la rejetait) a découvert chez Scully « l’essence de disparition ». Dans son expressionnisme abstrait la négation n'exprime toutefois plus rien de négatif mais dégage simplement l'exprimable pur. Surgit l'absence projetée par une peinture presque impossible que le créateur plus que tout autre a approché en donnant forme à un chaos ordonné, à un "rien" que sa la propre œuvre poétique de Danto explore.

Pour celui-ci - et l'influence de Schopenhauer est capitale dans la conception qu'il se forge de l'art et du monde - la réalité se constitue en chaos, un chaos sans image. Quant à Scully le but est de l’attendre. Pour lui comme pour le poète exégète de son œuvre les images doivent en conséquence être autre chose que la possession carnassière des apparences, autre chose que cette mimesis en laquelle, depuis la Renaissance italienne, elles se sont selon lui splendidement fourvoyées et dont le prétendu "réalisme" représente la forme la plus détestable. Scully à la suite des peintres américains (Pollock en tête) s’est très vite barricadé contre l'invasion de cette sorte d'espoir jugé illégitime. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’en un tel « supremum » l’abstraction se referme sur elle-même. Pour Scully comme pour Danto tout est objet pour la peinture - sans excepter les états d'âme, les rêves et même les cauchemars. Mais – et cela est capital - à une seule condition. La transcription doit se faire avec des moyens plastiques. Scully a donc su résister aux absurdes et mystérieuses poussées vers l'image puisqu'aucun ébranlement du regard n’est proposé. L’artiste apprend ce que tout peintre doit cultiver : l’empêchement. Il permet d’éjecter du tableau tout effet de réel et de « nature ». La seule nature possible de la peinture est celle de ses propres armes. Et ce livre de "l'ami" la met superbement en exergue.

Jean-Paul Gavard-Perret