Le merle
de Arthur Keelt

critiqué par Eric Eliès, le 28 mai 2023
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Amusant canular littéraire, sous couvert de science-fiction à l'ironie truculente et mordante
Les UFOlogues avaient raison : les extra-terrestres sont bien parmi nous ! Enfin, plus précisément, ils étaient parmi nous car, après la seconde guerre mondiale, ils se sont barrés en nous laissant quelques artefacts et des formules mathématiques plus ou moins absconses, et un message, en mauvais anglais mais très clair, récupéré par des militaires américains dans le désert mohave : « Vous êtes décidément trop nuls, néfastes et dangereux. On repart prendre du matériel et on revient vous péter la gueule », provoquant l’affolement des grandes puissances, qui décident de garder le secret pendant qu'elles mobilisent les plus grands cerveaux de la planète pour tenter de décrypter les messages énigmatiques laissés par les extra-terrestres. C’est ainsi qu’Arthur Kleet, éminent linguiste et ancien professeur universitaire, voit débarquer chez lui, un petit matin, dans la petite cabane isolée où il s’est retirée dans les Alpes autrichiennes, un quarteron de militaires hauts-gradés venus lui confier un merle enfermé dans une cage d’un métal inconnu, que les extra-terrestres ont laissé à côté de leur message. A charge d’Arthur Kleet d’essayer de déchiffrer les intentions des extra-terrestres, et le message qu’ils ont voulu nous faire passer à travers les trilles de l’oiseau.

Présenté comme l’unique roman d’Arthur Kleet, linguiste autrichien converti au bouddhisme après la seconde guerre mondiale, « Le merle » est en fait un canular de Jean-Bernard Pouy, auteur de romans policiers qui s’était lancé le défi d’entrer dans le cénacle de la littérature allemande… Le ton du message des extra-terrestres donne le ton du roman, à l’écriture alerte et percutante, et plein d’humour caustique, notamment envers tout ce qui porte képi. Même si la menace extra-terrestre est au cœur du récit, il ne s’agit pas de SF, car l'ambiance est plutôt campagnarde et champêtre, et traite davantage des interrogations d’un vieil homme retiré du monde, qui se demande quel sens ont tout ce bazar et cette folie et se console avec du pâté, des balades à vélo, les oeuvres de quelques artistes et l'amitié de ses proches. Et tandis qu’Arthur Kleet, bouddhiste légèrement misanthrope et amoureux des plaisirs simples de la vie, fait copain avec le merle, qu’il a vite libéré de sa cage, ou contemple le ciel en se demandant de quelle étoile débarqueront les extra-terrestres et à quoi ressemble leur trogne, il ne peut s’empêcher de songer qu’ils n’ont pas tout à fait tort de considérer l’humanité comme une nuisance à éradiquer pour la paix du cosmos …

La terre sera-t-elle finalement détruite ? Non, bien sûr, sinon nous ne serions pas là ! Mais comment fut-elle sauvée ? Les extra-terrestres ont-ils finalement débarqué ? Je ne vous le dévoilerai pas pour ne pas gâcher la lecture mais la fin ouverte, avec un joli happy end romantique, laisse plusieurs interprétations possibles. Après une entrée en matière percutante, le rythme ralentit un peu et on se demande parfois si l’auteur sait vraiment où il veut en venir, ou s'il se contente d'une histoire un peu loufoque et délirante, prétexte à quelques digressions pseudo-philosophiques pimentées de punchlines bien décochées, pleines d’ironie et d’humour acide, souvent truculent voire même parfois scatologique (comme les copies d’étudiants que le professeur reçoit par la poste et corrige). Néanmoins, le roman, même s’il présente quelques longueurs et n’est pas un chef d’œuvre de la littérature (ni de SF ni allemande !), se lit avec plaisir et m’a parfois fait songer à l’humour décalé, et non dénué de profondeur, de Fredric Brown, de Frédéric Dard ou de René Fallet (dans La soupe aux choux).