Campagne
de Raymonde Vincent

critiqué par Débézed, le 23 mai 2023
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Chronique bucolique
Dans sa collection « Les Pages oubliées », Le Passeur éditeur vient de republier le roman titulaire du Prix Femina 1937 : « Campagne » écrit par Raymonde Vincent. Cette réédition est particulièrement bienvenue, non seulement parce qu’elle met à l’honneur nos campagnes redécouvertes depuis quelques années dans le cadre du retour à la nature et à ses productions authentiques, mais aussi elle permet de tirer de l’oubli une auteure atypique dont la nomination pour ce prix fit débat et même plus. Raymonde Vincent est née en 1908 dans le fond de la campagne berrichonne, elle n’a jamais fréquenté l’école, elle a appris à lire au catéchisme et s’est forgé seule sa culture à travers les lectures très éclectiques qu’elle a trouvées sur son chemin. « Montée » à Paris très jeune, en 1926, elle y a rencontré un auteur mondain qui a reconnu son talent.

Son héroïne Maire lui ressemble un peu, et même beaucoup si l’on considère le fragment de texte autobiographique inédit publié à la fin du livre, c’est une jeune fille devenue orpheline très tôt qui est élevée dans la campagne berrichonne par sa grand-mère. Quand celle-ci devient trop vieille pour vivre seule, l’oncle de Marie les accueille toutes les deux dans sa ferme isolée mais la grand-mère ne supporte pas la cohabitation et rejoint sa ferme où elle décède peu après. Marie demeure à la ferme avec une tante, son oncle veuf et ses quatre garçons. Dans ce long roman commençant un peu avant la Grande Guerre, Raymonde Vincent raconte en de longues, riches, et minutieuses descriptions la campagne que Marie aime tellement, la vie en quasi-autarcie de cette famille isolée, ses joies, ses peines, ses douleurs, ses deuils mais aussi ses rites, surtout religieux, ses fêtes, son acharnement à la tâche et les belles récoltes méritées à la sueur de chacun.

L’auteure connait très bien cette campagne où elle est née, elle en connait les moindres recoins, toutes les plantes qui y poussent, tous les animaux qui la peuplent du plus petit au plus imposant mais aussi tous ses habitants : des paysans taiseux, durs à la tâche, toujours vaillants dans l’effort, solidaires entre eux et très croyants pour la plupart. Elle raconte la vie de Marie et de la ferme où elle vit dans un long texte composé de longues descriptions énoncées dans de longues phrases construites avec un vocabulaire riche, coloré, rempli d’images, et de mots et expressions vernaculaires. Ce texte ne comporte pas de véritable intrigue, c’est une longue description, une sorte de chronique de la vie dans la campagne berrichonne à l’époque de la Grande Guerre. Ili fait vivre ce petit monde perdu aux confins de la société, un peuple de paysans peu cultivés qui traverse une période de calme et prospérité jusqu’à ce que les conséquences de la guerre viennent les heurter de plein fouet dans leur quiétude et leur acharnement à la besogne.

Ce monde, c’est celui dans lequel mes parents sont nés, dans une autre région toute aussi isolée, celui qui existait encore quand j’y ai vécu ma prime enfance. Je comprends bien les sensations, les sentiments, les émotions, les peurs et les craintes, les joies et les douleurs que Raymonde évoquent dans son récit. Ceux qui ne sont jamais restés plusieurs heures dans un sous-bois paisible à seulement rêvasser, ceux qui n’ont jamais vu tomber les premier flocons de neige dans une campagne déserte où s’installe brusquement une paix céleste, où la terre et le ciel semblent vouloir s’étreindre, où l’on se sent tout petit dans ce calme abyssal …, ne comprendront pas cette forme de bonheur réservée aux pauvres paysans qui ne connaissent pas les joies et les contraintes de la ville.

Pour illustrer mon propos, j’ai relevé dans la préface de Renan Prévot, cette citation de Maurice Delamain : « Abandonnant l’idée d’une « action », je me plonge dans cette suite d’images qui me paraît sans prix, parce qu’elle est due à un auteur qui a vécu cette vie et chez qui la poétisation est sincère, spontanée, convaincante… ».