Appia
de Paolo Rumiz

critiqué par Poet75, le 14 mai 2023
(Paris - 67 ans)


La note:  étoiles
La mère des routes d'Europe
Le titre de ce livre, ce simple mot « Appia », a agi sur le lecteur que je suis comme un aimant. Adolescent déjà, quand mon professeur d’histoire (et peut-être aussi celui de latin) évoquait cette voie construite en 312 avant J.-C., reliant Rome à Capoue, puis prolongée jusqu’à Brindisi, j’étais à la fois admiratif et rêveur. Plus tard, j’appris qu’elle ne fut pas seulement une voie romaine utile d’un point de vue marchand comme d’un point de vue militaire, mais qu’elle fut également empruntée par Paul lorsqu’il rejoignit Rome en l’an 65, par Pierre aussi puis par de nombreux pèlerins chrétiens qui voulaient rejoindre la Terre Sainte (entre autres les Croisés). Auparavant, elle servit aussi de théâtre, si l’on peut dire, pour les crucifixions ordonnées par les Romains.
Mais qu’est-elle devenue aujourd’hui, cette fameuse Via Appia ? Qu’en reste-t-il ? Pour le savoir, rien de tel que de lire le livre de Paolo Rumiz qui y raconte comment, avec quelques compagnons, il parcourut à pied les 612 kilomètres séparant Rome de Brindisi, sans GPS, instrument que notre auteur-voyageur voue aux gémonies, tant à force d’avoir les yeux fixés sur un écran on ne prend plus le temps de rien voir. Paolo Rumiz, lui, marcheur invétéré s’il en est, préfère le bâton du pèlerin à tous les guides de papier du monde et la rencontre des habitants, les yeux dans les yeux, à tous les écrans qui isolent bien plus qu’ils ne relient les humains les uns aux autres.
Mais, plutôt que de parcourir le sempiternel chemin de Compostelle (qu’il n’estime guère, c’est le moins qu’on puisse dire), c’est « la mère des routes d’Europe » qu’il a préféré emprunter, même si elle présente le désavantage d’être beaucoup moins bien entretenue que le chemin espagnol. Cette route, la Via Appia, qui fut le trait d’union entre Orient et Occident, il faut aujourd’hui la chercher, tant elle a été malmenée, surtout depuis les années 1960, laissée à l’abandon par ici, bétonnée par là, ou encore privatisée en d’autres lieux.
Parcourir ce chemin-là, précisément, pour Paolo Rumiz et ses compagnons, ce fut un moyen de protester contre l’incurie des responsables politiques et autres, coupables d’autant de négligences. Quand Paolo Rumiz fit connaître son projet, on tenta de le décourager à coup d’arguments imparables (les terrains délabrés, les propriétés privées, les chiens, la Mafia…), mais en vain. Au contraire, sa détermination fut encore plus grande. Et il fit bien, d’autant plus que l’on a affaire à un admirable conteur, attentif à tous les aspects du voyage, la recherche de ce qu’il reste de la Via Appia bien sûr, mais aussi la rencontre des Italiens du Sud (ou peut-être faudrait-il dire de l’Est, remarque Rumiz) souvent ébahis de voir un compatriote du Nord venir chez eux à pied, les paysages, les villes et les villages, les dévastations, les repas, les fatigues et les soins, etc. Rumiz raconte à merveille, tout en enrichissant son texte d’un grand nombre de réflexions pertinentes, sur l’Italie bien sûr, celle d’hier et celle d’aujourd’hui, mais aussi sur nombre de sujets qui dépassent le cadre d’un seul pays. Dans tous les cas, c’est toujours passionnant et revigorant.