Les couleurs de boucherie
de Eugène Savitzkaya

critiqué par JPGP, le 6 mai 2023
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Les dévorations d'Eugène Savitzkaya
Les éditions Flammarion ont la bonne idée de republier un des livres clés - Les Couleurs de boucherie - d’Eugène Savitzkaya. Paru chez Bourgois en 1980, épuisé depuis longtemps, il ouvre - à côté des premiers romans de l'auteur, dont le superbe "Un jeune homme trop gros" - une veine plus personnelle qui va devenir le courant majeur de l'entreprise de l'écrivain belge.

Apparaît en particulier avec un des textes du livre ("Boucherien fabrique") la constitution d'un univers mental et physique où la langue se démonte et se reconstruit afin d'évoquer, au coeur de la sensation, la pureté, la cruauté, la fulgurance de l’imaginaire enfantin.

Sans souci du bon usage et de la bonne morale le corps ou le monde "pue au coeur" et montre ses entrailles. Le corps s'ouvre de ses trous et ses pores pour un jeu de massacre et au besoin des baisers de boue au lépreux de la langue.

La surprise est grande de découvrir si jeune un irrégulier de la langue. Dans la droite ligne de Rimbaud il brave les interdis du sexe, des genres et de la langue. Le texte suinte de divers excrétions. La boucherie sert d'étal au "mangeur décapité, comme au "saint garçon parmi les lions" qui au besoin porte des robes à "couleur de tombe". Elles se dérobent facilement pour que le corps se drape de pourpre ou d'humeurs gluante.

Savitzkaya nous jette déjà dans le volcan de la sensation qui se retrouve par exemple et entre autres dans « À la cyprine » (Editions de Minuit). Mais à l'époque de la Boucherie tout est plus violent car animé de la force qui va de la jeunesse propre à tout risquer.

Le souffle est là à portée de viande et de fleur là où le corps machine s'anime dans une dévoration qui porte "les draps hors de sa chambre" dans un embrigadement général et quasi cosmique là où le sentiment s'ignore au profit de la sensation de "l'obscur garçon" et de ses compagnons.

Dès ce moment où le vent décoiffa le jeune oiseau, celui-ci est emporté dans ses errements nécessaires et salutaires. Tout se débride des sinus au coeur entre douceur et amertume. La vie paraît donc périlleuse sauf bien sûr a qui ose la recherche d'un bonheur libre ou ce qui en tient lieu pour qui ignore le peur et possède l'appétit de dévorer la chair vivante.

Jean-Paul Gavard-Perret