Korsakov
de Éric Fottorino

critiqué par Dreana, le 7 novembre 2004
(Le Pecq - 36 ans)


La note:  étoiles
Une perte de mémoire inoubliable...
Une aube grise s’ébroue dans les rues de Bordeaux. Gilbert, le forçat à peine libéré attend près de la grosse horloge de la Gare. Et c’est lui, accompagné de la vieille bigote, qui nous mènera à François l’enfant des brouillards. Un François pataugeant dans la nuit Ardanuit, emprisonné dans la toile d’une famille éprise de malheur. Après tout, il n’est qu’un demi juif, abandonné par un père qui trouve le moyen, pour achever de créer la confusion dans l’esprit de son fils, de s’appeler Maman. Errant 10 longues années dans les limbes d’une naissance non achevée, il n’ôte les voiles du linceul qui l’y retenaient que lorsque sa mère, sa jeune mère Lina qu’il aime tant, épouse Marcel Signorelli, ostréiculteur au sourire en rayon de soleil. Il découvre alors la famille Signorelli, exilée de sa chère Tunisie, qui éclairera sa vie.
Nous retrouvons François bien des années plus tard, il a 40 ans, il est neurologue à Palerme. Et c’est le moment que choisit Korsakov pour entrer en scène. Ce syndrome nous est décrit avec froideur avant même le début du récit : « Le syndrome de Korsakov est constitué par une amnésie de fixation des souvenirs, compensée par un mélange de fabulations et de faux souvenirs. » Début des hostilités.

Korsakov est un roman inoubliable. Pourquoi ? Tout simplement car il nous offre, au sein d’une histoire foisonnante et d’un thème grave, les plus belles et les plus fortes émotions qu’un livre puisse procurer, seules à réellement nous nouer la gorge, à faire trembler notre main lorsque celle-ci tourne les pages. Sentiments exacerbés. Passion. Une passion perceptible entre chaque ligne du livre, guidant les faits et gestes des personnages. Celle de Fosco, sublime, nous plonge dans le sable chaud du chott tunisien, sous l’implacable brûlure d’un soleil éternel. Dans Gafsa la douce, la chaleureuse, où les Signorelli se sentaient chez eux. Le comportement impulsif de Gilbert, dans l’amour comme dans la mort, la fulgurante attirance de Marcel et Lina, la puissance des événements qui peu à peu détruisent la vie de François en sont autant d’hurlants témoins, pleins d’une fièvre incandescente. Exacerbation également de l’horreur, parfaitement incarnée par le syndrome de Korsakov. L’inexorable marche destructrice de la maladie ne peut que nous emplir d’effroi, plus encore lorsque de telles lignes sont offertes à nos yeux avides : « Je vis de mes propres blessures comme l’oiseau vole de ses propres ailes, inconscient de vivre, peut-être plus tout à fait vivant, absent de moi, en voyage, en vacances de mes souvenirs, retiré du présent et fuyant du passé ce qui brûle. Korsakov progresse. […] Je perds la mémoire à la vitesse d’un cheval au galop ».
Poignant.

François est également né sous le signe de la dualité. François a deux pères, deux naissances, il vit dans deux univers… Mais il a surtout deux familles, qui nous enseignent l’un des plus beaux principes à retenir de son ouvrage. En effet, ces deux familles créeront en François bien des interrogations, pour finalement finir par nous faire comprendre que les liens du sang ne sont rien en regard de ceux du rêve, de l’amour et de l’évasion. Car François et les Signorelli partagent bien plus qu’une désagréable douleur dorsale, contrairement à Maman ; une partie d’eux s’envole à chaque instant dans le ciel bleu de Tunisie, les rendant proches, volant ensemble dans une incroyable empathie.

Mais Korsakov est avant tout un ouvrage éminemment littéraire. En effet, on retrouve dans ses pages l’incarnation parfaite de l’allégorie du travail de romancier. Le thème lui-même est formidablement adapté à ce type d’écrit puisqu’il permet, dans un cadre réel, de créer un univers entièrement fantasmé. Eric Fottorino a trouvé avec le syndrome de Korsakov LE mal du roman. Rappel de ces danses entre fiction et réalité : le mirage du bateau de la troisième époque du livre, rêve ondulant au début, ensemble tangible de planches et de voiles pour finir.

Le seul bémol que l'on pourrait accorder à l'ouvrage serait une troisième partie moins consistante que les précédentes. Mais elle était de toute façon indispensable, et pour peu qu'on soit sensible à l'exotisme et au voyage, on ne s'y ennuie pas un instant.

Un dernier mot (oui, oui je vous assure :->) sur le style. Durant l’enfance de François, il est simple et toujours juste, nous restituant parfaitement la vision du monde d’un enfant déjà si vieux, rendu lucide par les aléas de sa vie. Mais dans la pénombre de Bordeaux, l’humour que Fottorino introduit lorsqu’il joue sur les mots fait tout de même sourire. Par la suite, l’écriture devient plus riche, plus forte aussi, à mesure que l’on tourne les pages. Ainsi, chaque époque nous bouleverse davantage que la précédente et nous plonge plus profondément dans le psychisme de François.

Indescriptible, en fait.
Amnésie consolatrice ... 4 étoiles

Fottorino nous conte l'histoire d'un enfant non désiré et qui peine à trouver sa place parmi des proches qui le fuient tout en l'aimant !

Tandis que le héros se fait adulte, devenant neurologue réputé mais en manque de racines, Korsakov (l'Alzheimer des jeunes) le sauve peu à peu de sa réalité triste en dévorant ses souvenirs.

Roman mélancolique et long ...

Ori - Kraainem - 89 ans - 2 avril 2009


D'amour et d'oubli 8 étoiles

C'est un livre éprouvant et émouvant, oppressant et bouleversant.
C'est un livre sur la mémoire et l'oubli, sur la quête de l'identité, sur la paternité, la filiation, l'amour.

L'écriture est belle, la construction un peu déroutante, faite d'aller et de retour.

Et quand finalement le tourbillon des sentiments contradictoires qu’il a éveillés s’apaise, on se dit que c’est un très beau livre…

Romur - Viroflay - 51 ans - 13 février 2008


Du pur Fottorino... 10 étoiles

Un livre sobre et puissant, dans lequel on retrouve un Eric Fottorino comme on l'aimait dans Télérama. Egal à lui-même...

Marafabian - - 51 ans - 11 août 2006


ailleurs.. 7 étoiles

La première page s’ouvre sur les données encyclopédiques du syndrome de Korsakov. Ce syndrome à lui seul est roman. Il sera la construction du livre. Le livre lui nous raconte une douloureuse quête d’identité, celle de François Ardanuit, François Maman, François Signorelli. Cette quête d’identité, l’histoire d’une vie qui se brisera sur ce syndrome. Cette quête est celle du père, de l’absence d’un père. L’éternelle construction humaine où tout est réaction, construction, imitation ou déconstruction par rapport à ses parents. François cherche, ne cherche pas tout en cherchant. Mais sans cesse, ce père lui manque pour être. Ce sur-moi du père dont il faut souvent se libérer et dont l’absence est insupportable, invivable. La construction de ce livre fonctionne admirablement bien. Elle nous entraîne, servie également par une écriture agréablement naturelle. L’histoire, le syndrome, la quête sont durs. Ils sont souffrances. Ce livre est une déambulation à travers la mémoire de François, des François et de ses pères. On le suit, il nous emmène. Sa vie traverse des époques, celle des années 60 et des années 90. Ce livre n’est à aucun moment une description de ces époques mais l’ambiance décrite nous fait remonter le temps avec facilité et plaisir. Sa mémoire traverse trois lieux, la Gironde, la Sicile et la Tunisie. Là aussi, l’auteur nous emmène facilement et simplement.
Ce syndrome permet une construction originale qui fonctionne mais pourrait-il être de trop ? Il est à lui seul roman. Alors l’histoire de cette quête vient en quelque sorte butter dessus, butter sur cette amnésie compensée par un mélange de fabulations et de beaux souvenirs qu’est le syndrome Korsakov. Ce syndrome permet malheureusement tout. Il permet donc d’imaginer toutes les histoires. La quête de François apparaît alors moins unique, comme un peu moins forte, une histoire parmi l’ensemble des possibles. Mais cette construction, cette histoire et cette écriture m’ont emmené ailleurs. Tout simplement avec plaisir.

Ulrich - avignon - 49 ans - 24 août 2005


Le cavalier songe qu’il faudra bientôt rentrer… 8 étoiles

Ce livre m’a été offert. Je n’étais donc pas préparée à cette rencontre, car c’est toujours délicat d’offrir un livre, c’est presque comme offrir un parfum.
J’ai tellement besoin de désirer un roman avant tout, d’être disposée à le recevoir. C’est un peu une histoire d’amour, on peut la louper et passer à côté de belles choses, mais il arrive que cela se passe comme un coup de foudre. Cette rencontre avec l’écriture de Eric Fottorino a justement était comme un coup de foudre, un bouleversement. Son écriture est tout simplement belle, sans prétention, elle s’infuse lentement dans notre esprit et elle fait tache dans notre cœur. Un ravissement.
Je ne vais pas m’étendre sur la construction de cette histoire, ni le sujet qui sont déjà si bien commentés.
Je rajouterai seulement que E.F. était le dépositaire de l’histoire de son grand père, qui n’est autre que Marcel/Fosco. Ces trois filles ont juste eu le temps de lui lire à son chevet, l’épreuve de ce roman écrit par son petit fils, il est là, murmure : c’est ça, c’est ça… Il est parti le 16 janvier 2004, serein. L’identité est transmise à sa descendance.

THYSBE - - 67 ans - 24 mai 2005


Que cherchait Rembrandt dans ses autoportraits ? 10 étoiles

Préambule.

Première époque, "une famille française". L'enfant, François Ardanuit, voit les différents adultes qui l'entourent, avec leur manque de maturité ou leurs décisions irresponsables. Il faut dire que la famille Ardanuit laisse songeur, aussi bien dans ses mythes fondateurs, que dans le présent de ses protagonistes . L'écriture est belle puisque le lecteur voit plus loin et mieux que l'enfant, tout en restant sensible à la fraîcheur de ses impressions.

Dans la deuxième époque, Francois Ardanuit, devenu Francois Signorelli, découvre qu'il est atteint du syndrome de Korsakov. Ironie tragique d'un diagnostic établi par lui-même, en connaissance de cause, puisqu'il est un spécialiste reconnu de cette maladie. Le syndrome de Korsakov désigne une altération de la mémoire, un effacement progressif des souvenirs, auxquels le malade supplée par un mélange de fabulation et de faux-souvenirs.

Vue générale.

On assiste donc à une reconstitution des épisodes passés de la vie de Francois, bribes par bribes, comme pour le reconstitution d'une identité qui se désagrège et/ou se révèle incapable de se constituer. Le premier visage regardé dans un miroir reflète l'environnement Ardanuit, un milieu centrifuge, où l'enfant dans la pénombre cherche en vain le phare d'un foyer harmonieux. Plus tard, dans l'épisode Signorelli, nom lumineux, les repères familiaux s'établissent, non par le sang, mais par le coeur, instants de bonheur, d'équilibre, et de rassemblement. Pause - que viendront troubler les aleas de la vie et les mensonges - ou erreurs, d'un mythe fondateur.
La vie d'adulte de Francois se ressent de ces vicissitudes, et les rapports avec sa propre famille d'adulte sont si dramatiques que "Korsakov" jouera un rôle salutaire.

"Korsakov entre en moi comme un soulagement, une grâce qui m'est donnée, le signe d'une providence inespérée. Jene vaispas lutter. Korsakov est là pour me délivrer. Je serai son complice.Mes mauvais souvenirs, les images terribles qui me hantent depuis la longue nuit Ardanuit, je les lui offre sans retenue. Il peut tout prendre. Sauf Fosco mon grand-père, le cavalier du désert. a présent, lui seul mérite encore de vivre dans ma mémoire".

Le dernier épisode "le cavalier du Chott" apparaît donc comme un pôle final, mi-véridique, mi-fabulé, tel un analgésique assurant l'ultime rémission.

Le récit témoigne d'une grande virtuosité cachant sa complexité sous des lignes simples. Pour bâtir une telle histoire, où un individu scrute son visage pour enfin se reconnaître, l'intelligence s'allie à la sensibilité. On se dit que cette fiction repose sur un vécu douloureux, que les mots, noms de famille ou faux-calembours, viennent exorciser.
Ces temps-ci, j'aurai lu deux livres excellents : une suite française d'Irène Nemirovsky, et Korsakov d'Eric Fottorino, j'aurai aussi eu, ici et sur ce livre,leplaisir d'ecrire à la suite de deux jeunes critiqueuses intéressantes :-)

Rotko - Avrillé - 50 ans - 29 mars 2005


la guérison dans la maladie. 9 étoiles

Un livre merveilleux, parmi les meilleurs que j'ai lu.
Une ode à la mémoire, à la vie...
Un passé difficile, une 'amnésie' salutaire, la guérison dans la maladie.
Brillamment écrit, un livre et un auteur profondément humains...un grand moment dans tout ce que l'Homme peut avoir de touchant.

Mitzuko - - 45 ans - 6 janvier 2005


Le doux oubli Korsa kov d'Eric Fottorino. 10 étoiles

Qu'est ce qu'il y a de plus affectant et libérant que l'oubli ? Le livre d'Eric Fottorino : Korsakov.

François a porté jusqu'à ses 10 ans le nom de sa mère, son père ne voulant pas lui lasser le privilège de clamer le sien. François sera donc Ardanuit jusqu'à ses 10 ans et vivra dans l'ombre de ce nom qui attire la nuit et le malheur. Un jour, enfin, il sort de ce noir et se retrouve dans la lumière Signorelli : Marcel, du même nom, les adopte lui et sa mère, sa jeune et trop petite mère, Lina. François grandit, étudie, paterne. La lumière, sans doute trop claire et éblouissante, le replonge dans l'obscurité la plus totale, l'obscurité de la maladie, l'obscurité de Korsakov. Le malheur Ardanuit le poursuit. L'oubli étant la clé de Korsakov, François Signorelli s'engouffre et se sent engouffré dans le piège de sa mémoire.

Eric Fottorino nous décrit dance livre " une maladie de secours" que " tous n'ont pas la chance d'avoir" : Korsakov. Avec François, nous sommes atteints de cette maladie, nous avons les mêmes traumatismes que lui, nous ne voulons pas de ce nom de nuit. Nous voulons être dans la lumière et dans la lumière obscure du doute de la vérité. Nous voulons devenir etêtre et non plus croire, paraître. Une seule solution : l'oubli. Alors nous décidons d'accepter cet oubli, de le laisser pénétrer en nous, de confondre les pages et leurs contenues et d'être surpris par celles qui suivent. Car Korsakov est un choix. On le veut ou pas. Nous et lui, lui et nous, nous avons décidé que nous le voulions ce Korsakov. Trop de peines qui se succèdent ne laissent entrevoirque la peine. Donc on oublie. Pourtant c'était bien d'avoir des souvenirs, de ce souvenirs, de se rappeler le prénom de sa secrétaire ou celui de son fils. Mais il est trop tard et " Korsakov fait bien son travaille ". Alors on invent, on se crée une vie où l'on est bien, heureux, sans peine et dans la lumière. Nous sommes des héros, nous sommes Fosco. La seule personne que l'on ne veut pas oublier et que l'on n'oubliera jamais car il afait sentir, un jour, à François le soleil sur sa peau Ardanuit.

Eric Fottorino écrit doucement avec brutalité : " Ton visage, petit, dans un mois, je l'aurais oublié. " Impression de fatalité. Douce fatalité qui coule sur les joues comme ont roulé jusqu'à ce livre nos larmes. Car on pleure, on est ému, on crie sur l'injustice et sur ce doux oubli. Ecriture contradictoire et en même temps : l'homme ne se contre dit-il jamais ? Histoire d'un homme qui ne nous ressemble pas mais auquel on s'identifie et que l'on comprends : qui n'a jamais rêvé d'oublier pour mieux se sentir ? En prenat ce livre n'ayez pas peur de tomber dans un oubli profond, il ne durera que le temps de ce livre. Il vous soulagera un instant de vos peines quotidiennes. N'ayez pas peur ! Korsakov est là dans un dernier oubli.

Un livre bouleversant, au souffle étouffé. Un livre qui nous fait peur mais qui nous protège pourtant. Un livre que, dans un mois, vous n'aurez pas oublié.

Maloulou - - 36 ans - 8 novembre 2004