Incertitude de la note juste
de Brigitte Gyr

critiqué par JPGP, le 28 avril 2023
( - 77 ans)

La note: étoiles

Brigitte Gyr et la parole précaire

Née à Genève, en 1945, Parisienne depuis 1976, donc suissesse et française aux origines italienne et allemande, avocate, puis traductrice Brigitte Gyr une auteure en cours. D’autant qu’elle a traité des thématiques consensuelles ; la mémoire, individuelle et collective, l’écart, la violence. Sa signature fait autorité et sa poésie n’est pas sans séduction. La poétesse sait que celle-là est trompeuse (montrant ce qui n’est pas) mais aussi astucieuse lorsqu’elle permet de faire deviner, entrevoir ce qui n’est pas. Or par excellence l’écriture n’est pas, elle n’est qu’un leurre fait pour piéger le monde ou l’être mais ne pouvant les remplacer. D’ailleurs l’auteur ne cesse de la rappeler : « J’aspire à ta parole précaire / pénétrable à l’oubli » écrit-elle sans caresser une réelle poétique du vide mais de rappeler la condition de l’être.

Une poétique du constat d’un état de carence ( « ce qui était s’abstient ») se double de la tentation de passer la frontière du blanc, du vierge à la recherche de la note la plus juste. Brigitte Gyr cherche à faire entendre l’écho perdu entre les premières lueurs de premiers jours et celle de l’ultime crépuscule dans l'écriture de l’inframince, du « bavé » extirpé des abîmes de l’être. Celle qui a travaillé avec Mathias Lair partage avec lui deux éléments capitaux.

Comme celui-ci elle n’était « pas préparée à naître » et quelque chose est resté fixé au ventre maternel. Elle partage aussi le souci d’une langue qui ne triche pas et cherche à dégager des censures mais non sans pudeur. Surgit une sortie dont l’incertitude elle-même libère une sensualité qui ne supporte pas un sens arrêté et ce même s’il faut lutter avec l’ « émotion pure du révolu ». Ajoutons que Brigitte Gyr évite tout romantisme doloriste en refusant d’écrire sous l’effet de ce qu’elle nomme sa « pulsion de mort » qui l’entrava longtemps. Désormais cultivant le parti pris de la vie elle marche dans l’énigme de l’existence en toute lucidité quant à l’impouvoir des mots. Son œuvre vient de leur « ignorance de fond » là où l’auteure dépossédée et nue cherche à ne jamais esquiver ou mentir : cela sa note juste. Même dans l’incertitude.

Jean-Paul Gavard-Perret