Inframémoire
de Robert Ireland

critiqué par JPGP, le 18 avril 2023
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Robert Ireland le magicien
Il existe dans le livre de Robert Ireland quelque chose de magique. A partir d’un corps (« L’Opus ») d’intellectuels (« Le Groupe ») avide de spéculations spécieuses autour d’un centre vide que cherche en vain à valider un des membres de cette Camora de l’esprit, l’artiste américain installé depuis longtemps à Lausanne restitue une liasse de textes, notes, remarques, dialogues, variantes, notations, etc.. Il n’a pas la moindre prétention à accorder à ce fonds sans fond un quelconque intérêt. Le créateur le mue en figures collées, rejouées, réinventés selon une expérience plastique qui relève de la synthèse chaotique. Si bien que le livre prend paradoxalement valeur de manifeste : il ouvre les mots au vide en devenant ses images dans un métissage qui métamorphose les obsessions rationnelles des intellectuels (auxquels l’artiste se refuse de ressembler) en pur verbiage, simple support ou matérialité.

Robert Ireland constitue à travers ce magma et ses dépôts son propre monde et sa promenade dans une littérature elle-même vagabonde. L’artiste s’y débarrasse du trop pour y cantonner son nécessaire peu. Celui-ci relève de l’hygiène créatrice. Les mots font le deuil d’une équivalence présumée par ceux qui les font fonctionner. Face à eux, l’auteur opère un autre travail et savoir. Ni affectif, ni rationnel ce dernier crée une utopie (que n’aurait pas renié Max Bill) er une nouvelle « géographie » du livre. L’art ne reflète plus des convictions spéculatives : il les déstabilise, les déshabille jusqu’à la nudité aussi comique que subversive selon une esthétique paradoxalement proche du dadaïsme éternel, seule manière de venir à bout de la misère symbolique.

Jean-Paul Gavard-Perret