Eux
de Kay Dick

critiqué par Poet75, le 28 mars 2023
(Paris - 67 ans)


La note:  étoiles
Laconique
Née en 1915 et décédée en 2001, la britannique Kay Dick se fit connaître, chez elle, en Angleterre comme la première femme devenue éditrice dans ce pays. Elle publia, entre autres, des œuvres de George Orwell (1903-1950). Mais elle fut également journaliste et écrivaine. Elle écrivit des biographies littéraires, ainsi celles de Colette et de Carlyle, et quelques romans, dont Eux (They), publié en 1977, roman dystopique qui remporta un prix littéraire mais, peut-être à cause de critiques sévères, parfois sexistes, dans la presse de l’époque, se vendit si peu qu’il tomba rapidement dans l’oubli. Il ne fut redécouvert qu’à l’été 2020, presque par hasard, parce que trouvé dans une librairie caritative par un agent littéraire. Et il vient donc d’être publié, pour la première fois, dans sa traduction française, directement au Livre de Poche.
Il faut reconnaître que c’est un roman déroutant dont la lecture risque de susciter, chez un certain nombre de lecteurs, un sentiment de frustration. Ce n’est même pas, à proprement parler, un roman, mais plutôt une suite de neuf récits se situant dans une même époque indéfinie et dans un même environnement, avec des personnages récurrents et une narratrice. Ces récits relatent, de manière éclatée, quelques épisodes de vie d’une communauté constituée d’humains essayant de résister, autant qu’ils le peuvent, à la menace d’une perte totale de la culture et des émotions. Autrement dit, les neuf récits font tous entrevoir la fin des livres et des œuvres d’art tout comme l’obligation pour tous de vivre maritalement uniquement afin d’assurer la procréation, rien de plus. Les célibataires sont enlevées, les livres et les œuvres d’art volés pour être détruits.
Voilà ce qu’on comprend, tout en devant se contenter du peu de renseignements que daigne nous donner la romancière. Ceux qui font régner cet ordre nouveau, ceux qui sont chargés de contrôler, ceux qui ont mission d’arrêter les récalcitrants, restent particulièrement dans le flou. Ils sont désignés comme « eux », ils apparaissent et disparaissent, mais on n’en sait pas davantage à leur sujet. Malgré ce contexte anxiogène, la romancière multiplie les scènes paisibles, voire contemplatives, dans une nature qui semble préservée. Il y a un fort contraste entre cet environnement et la menace qui pèse sur les individus, contraste qui accentue le danger de perdre son humanité alors que la nature reste encore belle.
Il ne faut donc pas s’attendre à lire un roman touffu, comme le sont souvent les histoires futuristes ou dystopiques. Ici, c’est la suggestion qui l’emporte, voire même un certain laconisme dans le propos. Place à l’imagination du lecteur.