Fiel au coeur
de Isabelle Bielecki, Pierre Moreau (Dessin)

critiqué par Débézed, le 27 mars 2023
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
La douleur du passé
Après avoir lu deux opus de la trilogie qu’Isabelle a consacrée à la vie de ses parents marqués à jamais par les séquelles de la deuxième guerre mondiale qu’ils ont traversé dans la douleur, je découvre aujourd’hui son talent de poétesse à travers ce recueil. J’ai retrouvé dans ses textes les démons qui ont perturbé sa vie familiale, le père marqué par les affres de la déportation, la mère par les traitements très rudes infligés dans le camp de travail agricole où elle était prisonnière. Ces démons n'hésitent pas à franchir le seuil des générations, ils s’attaquent aussi aux enfants, elle-même a connu la souffrance de vivre avec le passé de ses parents dans ses bagages. Cette trilogie est une véritable mine d’informations pour les psychogénéalogistes.

Dans sa fine préface, Martine Rouhart explique que dans ce recueil de poésie, Isabelle « a réussi par un étrange jeu de reflets, à ressentir des obsessions qui ne sont pas les siennes, à penser, agir et réagir comme cet homme, bref, à entrer littéralement dans cette tête … et à démonter ce démon ». Personnellement, j’ai pensé que cet homme pouvait être une métaphore de ce que fut la vie de ses parents, et la sienne, en proie à tous les démons ramenés dans leurs bagages après la guerre.

Ces poèmes racontent la vie d’un homme pris de folie, sujet à des névroses, qui s’enferme, se calfeutre chez lui pour ne pas rencontrer ses démons, pour les tenir en échec loin de lui. Une obsession forcenée l’anime contre ses angoisses, ses frayeurs, ses délires, tout ce qui bouge, fait du bruit, tout ce qui pourrait l’atteindre d‘une façon ou d’une autre. « Chez lui / Il a tout repeint en blanc / Comme ce là-bas / Qu’il a quitté / En vainqueur / De ces démons / … ».

Isabelle s’exprime dans des poèmes très courts construits avec des vers tout aussi courts, quelques mots seulement parfois un ou deux guère plus et pourtant ses textes sont toujours d’une rare puissance évocatrice surtout quand elle évoque l’asile quitté par le héros : « Le moindre faux pas / Et c’est l’enfermement / Le vrai aux murs blancs / Qu’il a quitté / A force de courbettes ». Ces murs blancs qui reviennent plusieurs fois dans le recueil comme le symbole de l’enferment dans cet asile. Une grande économie de mots pour dire une angoisse submersive et un désespoir abyssal. Ce style de poésie, le « stichou », est un genre qu’Isabelle a créé pour que chacun puisse avec des mots simples, exprimer ses idées et même dire des choses parfois très fortes, très douloureuses…

Rongé par ses démons, le héros n’est pas fou, il est simplement victime du passé qui encombre sa besace. « Masque la face / De ton passé / Tu n’es pas malade / Mais différent / Lui a confié / Un psy / Dont il a égaré / Le nom ». Et ce passé me ramène à ce que j’ai déjà lu dans la trilogie d’Isabelle, des souvenirs lourd, trop lourds pour être portés par un seul individu. Et si le héros était une image de son père qui a porté un passé tellement douloureux qu’il s’est même transmis à sa fille. Un passé noir et plein de ramifications comme les photos de Pierre Moreau qui illustrent si bien ce recueil avec toute sa noirceur.