Donc c'est non: Lettres réunies et annotées par Jean-Luc Outers
de Henri Michaux

critiqué par JPGP, le 12 mars 2023
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Henri Michaux : non du nom
Aux avides de reconnaissance médiatique Michaux offre la plus belle leçon de conduite. Il est vrai que le chercheur d’ombre ne pouvait que la cultiver pour atteindre des « émergences –résurgences ». Rivant son clou à tous ceux qui veulent se l’annexer autant pour de bonnes raisons que des douteuses, Michaux présente ici et par la pratique sa stratégie : celle d’un systématique refus. Parfois drôle, parfois cinglant et sans appel.

L’auteur craignait - en disant oui - autant pour son œuvre que pour lui : il s’agissait de ne pas finir «gavé de mon propre nom». Néanmoins les manières de dire non chez Michaux n’ont rien de répétitives. Comme son Plume il joue au besoin au trapéziste. Accepter les sollicitations et les sollicitudes reviendrait à limiter l’écriture à une parade. Et cela est d’autant préjudiciable que l’écriture n'existe pas toujours. Du moins pas en totalité. L’auteur ne la fuit pas. Mais pour la mener toujours plus loin il faut pour préserver le silence.

L’accoucheur du monde des gouffres a dû « apprendre la musique » pour ne se disperser dans ce qui n'est pas lui. Il va jusqu’à en appeler à d’autres pour le suppléer dans le métier du non : «Je cherche une secrétaire qui sache pour moi de quarante à cinquante façons écrire non.» Il n’en a pas eu besoin. Et Jean-Luc Outers a réunis les lettres qui sont les 101 manières de se retirer du monde. Demandes d’interviews, adaptations scéniques de ses textes, anthologies, colloques, rééditions, conférences, commémorations, prix littéraires, les publications de photos restent lettres mortes.

Michaux s’en dégage mais ce n’est pas qu’un moyen de botter en touche. Le poète refuse les petits bassins d’eau où les narcisses littéraires se mirent, viennent pécher des grigris de la gloire ou se parer des nénuphars des vanités. Ses manières de dire non sont un ravissement et une propédeutique.

Jean-Paul Gavard-Perret