Pour tout bagage
de Patrick Pécherot

critiqué par Cyclo, le 4 mars 2023
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
roman des "seventies"
Les années 70, en France : un "temps préhistorique".

Unis par une idée assez vague, "le fascisme ne passera pas", un petit groupe de lycéens, Antoine, Arthur, Paul, Yvon et une fille Sylvie, enflammés par les rêves de révolution post-soixante-huitarde, par l’action des groupuscules anti-franquistes (l’enlèvement du banquier Suarez par le G.A.R.I. qui lutte ainsi contre Franco), par les rassemblements du Larzac contre l’armée, par l’envie de tout chambouler qu’on peut avoir à dix-sept ans, se retrouvent pris dans un drame : un homme, Edmond, qui allait acheter une montre pour la communion de sa fille, est tué par une belle perdue. Il était au mauvais endroit au mauvais moment. Qui a tiré ? C’est l’un d’eux.

Quarante-cinq ans plus tard, Arthur essaie de comprendre ce qui s’est passé. Les mousquetaires, comme ils s’étaient surnommés, qui se pensaient guérilleros, adeptes de la liberté sexuelle, de la contre-culture, admirateurs des extrémismes de gauche, se sont dispersés, ont vécu leur vie, ont renié parfois leurs idéaux de jeunesse, sont morts déjà. "On est gênés de nos silences. On finit par s'éviter. On se salue encore de la main lorsqu'on se croise. Un jour on ne se croise plus". Le temps a détruit leur complicité de jeunesse : ils se sont perdus de vue pour tirer un trait sur cette balle perdue qui continue à turlupiner Arthur. L’époque a changé, les gilets jaunes ont remplacé les "nanarchistes".

Le livre est conçu à partir de fragments de mémoire, l’histoire resurgit et se recompose au gré des retrouvailles, les utopies (changer le monde, le rendre plus fraternel, vivre en communautés, amour libre, idées libertaires, nucléaire non merci) ont pris un coup dans l’aile, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était, les rêves sont éteints, les fleurs dans les cheveux et les pattes d’eph’ ont disparu. Arthur commente de vieilles photos, balaie le paysage sociologique de ces années militantes enfuies (on pense aux "Années" d’Annie Ernaux) et fait le constat de la suite plus que décevante. Sa quête se fait en une écriture très vive, mêlée d’argot, de parler populaire, en hommage aux deux Léo, Ferré le chanteur (le titre est emprunté à une de ses chansons) et Malet, le créateur de Nestor Burma..

Un roman paru dans La Noire (continuatrice de la Série noire), mais qui est plus sociologique que polar (ceux qui vont le prendre parce qu’il est classé ainsi risquent d’être déçus). Mais une jolie réussite qui ravira ceux qui ont vécu les seventies et les fera découvrir aux plus jeunes.