Les fossoyeurs: Édition augmentée de 10 chapitres inédits
de Victor Castanet

critiqué par Blue Cat, le 28 février 2023
( - 59 ans)


La note:  étoiles
Enquête sur les Ehpad Orpéa - Version augmentée
Remarquable travail d'enquête de Victor Castanet, qui redore le blason du journalisme d'investigation. Admirable et courageux Victor Castanet, dont le nom restera dans l'histoire contemporaine du journalisme d'investigation.

Son enquête sur le 'système Orpéa', premier groupe mondial d'Ehpad et de cliniques privées, aura duré 3 ans, tant ses investigations se heurtaient à une quantité impressionnante de freins et menaces en tous genres. Sa publication a provoqué, à juste titre, un énorme scandale public et politique. La version Poche, augmentée de 10 chapitres, rapporte en fin d'ouvrage les suites de la première édition brochée.

Le cœur de l'immense arnaque Orpéa est constitué de trois hommes : le docteur Jean-Claude Marian, fondateur et président d'Orpéa. Yves Le Masne, directeur général, le financier et grand ordonnateur de l'expansion internationale du groupe. Et enfin, Claude Brdenk, le directeur exécutif, surnommé le 'cost killer', dont la mission était de réduire toujours plus les dépenses et de manager par la terreur le personnel, tout le personnel, directeurs d'Ephad compris. Un sadique caractériel, Brdenk.

Cette direction à trois têtes aura traité ses résidents, même les plus aisés, selon la profession de foi du grand manitou JC Marian : 'On parque des vieux, c'est ça notre mission !'. Exit les demandes réitérées de budget pour les protections intimes et de repas un peu plus copieux pour parer à la malnutrition avérée d'un nombre important de résidents d'Orpéa.

Et pourtant, de l'argent il en coulait à flot, largement de quoi approvisionner protections et nourriture en quantité suffisante. Largement de quoi également embaucher le personnel suffisant prévu dans les budgets. Seulement voilà, le but unique d'Orpéa était de faire du profit, toujours plus de profit.

Comment ? Et bien déjà en détournant des dizaines de millions d'euros d'argent public, au moins 100 millions d'euros détournés entre 2017 et 2021. Comment ? Par le système des RAF (rétrocessions d'argent public reversé par les fournisseurs d'Orpéa à Orpéa, après factures). Les RAF exigées par Orpéa à ses fournisseurs et intervenants dépassaient en pourcentage tout ce qui était connu par les spécialistes de ces questions. Un vrai système mafieux.

Ensuite en n'embauchant pas le personnel indispensable, tout en budgétant ces embauches fantômes, parfois en indiquant des noms fantaisistes tel 'Marilyn Monroe, infirmière' sur de faux contrats. Amusant, non ? Et puis, toutes les autres magouilles, difficiles à résumer, le livre ayant demandé 500 pages de développement. Au passage, les coiffeuses d'Ehpad obligées de 'rétrocéder' un pourcentage de leur chiffre, idem pour les soigneurs en tous genres, kinés etc. Le tout au détriment premier des résidents vulnérables et du personnel pressurisé et débordé. Les cadres, eux, marchaient dans la combine, malgré l'écoeurement réel de certains. Les plus humains démissionnaient ou étaient virés rapidement.


Les dirigeants d'Orpéa se sentaient tout puissants et intouchables. Et ils l'étaient. Quid des instances de contrôle ? Les ARS par exemple, en sous effectif manifeste, incapables de contrôler correctement ce qu'il aurait fallu contrôler, et restreintes par le droit français dans leur droit de regard. Société privée, circulez il n'y a rien à voir. Ah bon, et les flots d'argent public utilisés et détournés par Orpéa ?

Le monde politique s'est désinvesti au fil des décennies de ce secteur et, pour compenser, a déroulé le tapis rouge et offert des facilités financières extravagantes aux groupes privés qui acceptaient de se coltiner le problème de la dépendance de nos aînés. Plusieurs élus sont mouillés par l'enquête, à commencer par Xavier Bertrand, qui déjeunait tous les mois avec son grand ami J.C Marian dans les meilleurs restaurants parisiens. Et ce, en échange d'autorisations d'ouverture de nouveaux Ephad, obtenues ultra rapidement, très loin des normes habituelles. Entre gens importants, on s'entraide. Jean-Louis Borloo lui aussi est mouillé, il aurait fermement dissuadé Korian (2ème groupe après Orpéa) de répondre aux questions de l'auteur.

Voilà une démonstration du système capitaliste poussé à son extrémité la plus mafieuse, sans que les pouvoirs publics ne s'en soient émus, malgré plusieurs alertes adressées aux politiques concernés en poste, par de courageux lanceurs d'alerte. Il aura fallu le livre-enquête de Victor Castanet pour que le scandale éclate pour de bon. Orpéa a sérieusement dévissé à la Bourse, Korian en a pris un coup aussi. Les autres groupes, en panique, ont apporté des modifications sensibles dans leur gestion et se tiennent à carreau pour le moment.

Mais aucune illusions à se faire, le bruit s'éteindra doucement, les abus réapparaîtront ici ou là, et puis ici et là, et puis un peu partout. Tout simplement parce que nos dirigeants politiques refusent de prendre le problème de la dépendance de nos aînés à bras le corps, tous autant qu'ils sont, gouvernements après gouvernements, toutes couleurs politiques confondues.

Après avoir lu cette enquête passionnante et révoltante dans ce qu'elle dénonce, on prie pour ne pas finir soi-même en Ehpad. Quant à ceux de nos aînés dépendants qui y sont déjà, obligation humaine nous est faite d'aller les voir régulièrement et de surveiller au plus près la façon dont ils sont traités et nourris. On ne pourra plus dire que l'on ne savait pas.