Ici moins qu'ailleurs
de Jacques Lassalle

critiqué par JPGP, le 26 février 2023
( - 77 ans)


La note:  étoiles
"Le cinéma est né du théâtre et je suis né du cinéma"
Pour un des plus grands metteurs en scène de théâtre français, le cinéma est paradoxalement central. Sans trahir le théâtre son rêve aurait été d’être réalisateur. Il se rêve en Bergman à l’envers lui qui disait donner toute son œuvre cinématographique pour une seule mise en scène réussie de Strindberg… Pour autant Lassalle n’est jamais vraiment convaincu lorsque ses collègues dramaturges font de cinéma. Il ne cite pas Chéreau mais on peu penser à lui lorsqu’il évoque cet aspectparle de cela. Et il oublie tout autant Losey et quelques autres non négligeables. Mais comme Charles Laughton il aurait rêvé de sa propre « nuit du chasseur ».

Lassalle sait que le cinéma ne vas pas de soi. Il l’a néanmoins « infusé » dans son théâtre. Il y a repris une grammaire et des références cinématographiques car sa culture vient de là. Dans « L’Ecole des Femmes » par exemple à la Comédie française il reprend une liberté narrative et des effets de séquence de montage chers au cinéma. Il utilise à la lettre des fondus au noir ou encore des éléments du cinéma muet pour la mise en jeu des intermèdes entre les actes. Il y a dans ses images de « L’Ecole des Femmes » du Méliès et du Murnau. Lassalle aime traiter du off et du changement de plan. Il tente par ses placements scéniques des gros plans et des plans d’ensemble. Bref un certains nombreux d’ingrédients cinématographiques de la représentation scénique restent omniprésents.

Ses trois mises en scène de Tartuffe le prouve. Celle de Strasbourg avec Depardieu inventé en « voyou solaire » est influencé par le Tartuffe de Murnau. Pour sa mise en scène en Norvège il a fait un Tartuffe plus puritain avec Dreyer en filigrane. Enfin pour sa dramaturgie de Pologne il invente un jeu opaque, indécidable peu dans la tradition théâtrale et proche d’une Coppola. Et le metteur en scène est allé chercher de plus en plus des acteurs de cinéma qui influencent au mieux les personnages qu’ils incarnent. A l’inverse d’un Bresson qui passe des connus aux inconnus, Lassalle passe des inconnus aux « acteurs à aura » : de Garrel et Emmanuel Riva à Depardieu et Huppert.

Lassalle fait avec leur puissance charismatique et iconographique afin de revisiter à la fois leurs parcours de cinéma et leur rôle qu’il leur donne et pour lequel ils doivent s’oublier en tant que star. « Le soliste doit devenir un choriste » écrit l’auteur. Il revendique donc de tels acteurs et les combat. D’où sa situation périlleuse par rapport à ceux dont il devient dit-il «  complice et coupable ». Isabelle Huppert est l’exemple parfait de cette complicité particulière dans laquelle il faut gérer le contrôle de l’image de l’artiste. Cette image contribue à la nature même de son jeu.

Lassalle aime autant Grémillon que Kubrick, il aime ceux qui se laissent « squatter »  par l’air du temps jusqu’au moment - où sans le vouloir - l’œuvre le dépasse. Il préfère Renoir et Bresson à Cioran ou Beckett. Il cite d’ailleurs de Renoir une phrase essentielle « Etre original c’est vouloir être comme les autres et ne pas y parvenir ». Cela met en garde contre l’ostentation de la provocation. Et si Bresson vide l’étang pour attraper le poisson, à l’inverse Renoir à l’inverse se veut pêcheur, Lassalle reste entre les deux. Il laisse venir son « poisson » dans une apparence hésitation mais peu à peu il s’impose une empereur à la Bresson, plein de rage jusqu’à effacer l’acteur et lui faire atteindre ce qu’il ignore de lui-même. C’est pourquoi il se veut un « bâtard » du théâtre par amour passionné du cinéma et met à mal ceux qui créent tant d’écart entre l’acteur et le comédien.

Jean-Paul Gavard-Perret