La couleur des choses
de Martin Panchaud

critiqué par Hervé28, le 12 février 2023
(Chartres - 54 ans)


La note:  étoiles
Un véritable Ovni du 9ème art
Un véritable OVNI que cet album !
J'avoue l'avoir souvent feuilleté en librairie, puis reposé , assez perplexe quant à son contenu . Et puis, le festival d'Angoulême est passé par là en distinguant ce livre. Il faut remonter à 2016, avec "Ici" de Richard Mc Guire, également autre OVNI, pour qu'un lauréat du Fauve d'Or attise autant ma curiosité. Au vu des bonnes critiques lues ici ou là, et sur les conseils de ma libraire (pour qui ce livre était son coup de cœur depuis sa sortie), j'ai enfin franchi le pas en l'achetant.
En suivant les aventures de Simon, Martin Panchaud nous entraine à la fois dans un polar, un road movie, et une comédie extrêmement bien agencés. Le scénario repose sur un travail d'orfèvre, et une fois lancé dans la lecture, j'ai eu du mal lâcher ce livre.. C'est presque addictif.
Mais ce qui fait la force de ce récit, c'est évidement sa forme. En découvrant l'histoire de Simon du "dessus", le lecteur peut être à première vue être décontenancé voire déstabilisé, mais il n'en est rien, et je me surpris à découvrir un récit fluide, où la façon de représenter les personnages ne gâche en rien le plaisir de lecture, au contraire.
Avec un dessin presque géométrique, presque tiré au cordeau, Martin Panchaud me fait curieusement songer à Chris Ware, ce qui n'est pas une mince référence.
Découvrez donc le destin du pauvre Simon, si habilement mis en scène par Martin Panchaud.
Ce livre relève à la fois de la pépite et de l'originalité.
Pour une fois,depuis bien longtemps, je rejoins l'avis du jury du festival d'Angoulême.
Comme dans un jeu de société 9 étoiles

Parue sans faire de bruit au mois de septembre, « La Couleur des choses » s’est imposée ces dernières semaines comme un mini-phénomène éditorial, bien en vue dans les têtes de gondole des libraires. Et on comprend pourquoi, même si un premier feuilletage n’est pas forcément engageant. En effet, quel intérêt pourrait avoir une bande dessinée (mais sommes-nous encore dans la bande dessinée ?) où les personnages sont remplacés par des petits cercles de couleur évoluant dans un décor minimaliste en vue aérienne ? Oui mais voilà, dès que l’on attaque la lecture, la magie opère. D’abord intrigué, on est vite happé par le récit, pour être ensuite littéralement hypnotisé par cet ouvrage décidément hors normes.

Et si le graphisme est d’une audace incroyable, la narration n’est pas en reste, tant s’en faut, avec un synopsis imparable, digne des meilleurs thrillers, assortie d’un dénouement « WTF » pour le moins inattendu. On est ému par le sort de ce pauvre garçon, Simon, sur qui des mauvaises fées ont dû lancer un sort à la naissance. Issu d’un milieu familial défavorisé, souffrant d’obésité et harcelé par les petites frappes du voisinage, Simon aura toutefois cette « chance » d’avoir joué les bons numéros au tiercé sur les bons conseils d’une voyante à qui il ramène les courses en échange d’un pourboire. Mais quand on ne nait pas avec les bonnes cartes en main, même un coup de fortune comporte des revers… P***** de destin ! Le jeune garçon va se voir entraîné dans une spirale infernale que son statut de mineur va compliquer (non majeur, il ne pourra percevoir les gains sans l’aval de l’un de ses parents) et qui va lui faire perdre les dernières illusions de l’enfance. Car en effet, cette histoire de ticket gagnant placera Simon aux premières loges d’un spectacle peu glorieux, celui du monde des adultes où méchanceté, violence, convoitise et cupidité en seront les principaux protagonistes, où la couleur des choses prend souvent une teinte glauque.

Avec cette œuvre extrêmement ludique qui n’en est pas moins une peinture sociale édifiante de l’Angleterre contemporaine, dotée d’un humour discrètement acerbe, Martin Panchaud, auteur suisse tout juste quadragénaire, prend un malin plaisir à brouiller les codes du neuvième art par une lecture en vue aérienne, en substituant par exemple des plans de maison aux cases, en inventant une nouvelle iconographie par l’insertion de pictogrammes, représentations graphiques et divers symboles au milieu d’un déroulé narratif qui s’autorise toutes les fantaisies. Le résultat est véritablement bluffant, plaçant l’objet quelque part entre la pièce de théâtre, le jeu de plateau et l’appli de smartphone.

Démarche oubapienne révolutionnaire, qui n’est pas sans rappeler le travail d’un certain Chris Ware mais aussi cette vertigineuse machine à remonter le temps qu’est « Ici », de Richard Mc Guire. Déjà récompensé par le Grand Prix de la critique, nommé en sélection officielle à Angoulême, il n’est pas du tout impossible que « La Couleur des choses » obtienne le Fauve suprême, mais on peut aisément parier sur une attribution du Prix de l’audace.

(chronique rédigée quelques jours avant l'annonce du palmarès, qui comme on le sait, a récompensé l'ouvrage du Fauve d'or)

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 17 février 2023