Monsieur Apothéoz
de Julien Frey (Scénario), Dawid (Dessin)

critiqué par Shelton, le 9 février 2023
(Chalon-sur-Saône - 67 ans)


La note:  étoiles
Une sacrée histoire !!!
Défendre la bande dessinée, parler des nouveautés ou de ces albums qui nous ont marqués il y a longtemps, ce n’est pas seulement interviewer des auteurs. C’est aussi prendre le temps de vous dire pourquoi on a aimé (ou pas d’ailleurs) tel album, telle série ou telle narration graphique… Or, en rentrant d’Angoulême, j’ai eu le plaisir de découvrir « Monsieur Apothéoz », un album de Julien Fray (scénariste) et Dawid (dessinateur et coloriste).

Il s’agit d’une belle histoire, plus tragique que comique mais répondant bien au terme, à mon avis, de tragi-comédie comme l’entendait Corneille et son époque ! Monsieur Théo Apothéoz est une sorte d’antihéros. Reste à savoir comment définir un tel personnage : il tente de survivre, il n’a jamais de chance, prend toujours les plus mauvaises décisions, n’ose pas avancer… et, en même temps, il est attachant, on a envie de l’aider, de le pousser un peu… Il faudrait si peu pour que tout s’arrange !

Qui pourrait bien lui venir en aide ? Son père ! Non, autant ne pas compter sur lui… Son voisin Mr Lajou ! Là, pour des raisons diverses, autant oublier… Mr Rivière ! Il est quand même âgé et ses idées un peu simplistes… « Trouvez un vrai travail, trouvez une copine et changez d’appartement »… Si seulement ! Antoine Pépin, alors ! C’est son métier de sauver les humains, de les guider, de leur offrir une nouvelle chance…

Apothéoz, l’homme à la malchance, aidé par Antoine Pépin, le magicien de la vie ! Bon, avouons que tout sera bien plus compliqué que cela…

J’avais dit « tragi-comédie » ! Précisons que nous allons bien naviguer dans le glauque, parfois largement teinté de noir, mais que nous irons mettre un pied de-ci de-là dans du plus gai, du rose même… sans oublier une fin que chacun pourra interpréter à sa façon, entre le noir et le vert (la couleur de l’espérance dit-on !)… La question étant toujours de voir le verre à moitié vide ou à moitié plein !

La narration graphique est plaisante, agréable à lire, avec des couleurs qui nous retiennent de chanter victoire trop tôt… L’humour est bien présent car même les décès et cadavres peuvent faire rire (je n’en dis pas plus pour ne pas détruire le suspense de l’ouvrage si bien construit !).

Alors, certes, Monsieur Apothéoz n’est pas un modèle pour une vie idéale mais les personnages de Camille, Antoine et même certains autres, plus marginaux, forment un tout que l’on n’a pas trop envie de quitter en fin d’album… Pourtant, il faut partir avant que la tempête ne gronde…

Une très belle lecture accessible à de très nombreux lecteurs, dès le début de l’adolescence, à condition, tout de même, de ne pas être trop rationnel…

Très bonne lecture !
La déveine dans l’ADN 7 étoiles

Ce qui saute tout de suite aux yeux dans cet album, c’est indubitablement le graphisme, qui réunit tout ce que j’aime. Un trait semi-réaliste faussement imparfait, tout en ondulations et pourtant très maîtrisé, assorti d’une mise en couleurs aquarellée sublime, centrée autour d’une tonalité marron-orange avec quelques sections entre bleu gris et bleu de minuit (normal, il y a pas mal de scènes nocturnes). Dawid réussit à créer des ambiances vraiment splendides (notamment pour les paysages et les décors villageois ou urbains du livre) qu’on se surprend à mater pendant de longs instants. Cela n’est pas si étonnant car cet artiste, qui semble avoir gardé toute son âme d’enfant, a été le coloriste de plusieurs albums jeunesse, celui-ci étant son premier roman graphique.

Quant à l’histoire, on a plutôt affaire à une fable tragi-comique qui pour être appréciée, devra être lue sans rechercher une quelconque plausibilité des faits. Le thème, c’est la poisse, la vraie poisse de poissard poussée à l’extrême, la poisse comme un trou noir qui aspire tout ce qui transpire la vie, la poisse toutânkhamonesque transmise sur plusieurs générations. Le jeune Théo, représentant en chef de la dernière génération des Apothéoz, une famille faisant de sa scoumoune un feu d’artifice permanent, se résout avec une certaine résignation à jouer le rôle de chat noir, hésitant ainsi à déclarer sa flamme à celle qu’il aime. Ce qui nous interroge dans cette fable, c’est cette éternelle question : peut-on échapper à son destin ?

On oscille ici entre la comédie noire et la comédie romantique, qu’un drôle de twist très brutal auquel on a un peu de mal à croire, annihile le charme que pouvait recéler cette histoire jusque là. Même si comme je l’ai dit plus haut, on sait qu’il ne faut pas être à cheval sur le réalisme. La farce n’exclut pas la cohérence.

Globalement, on a cette fâcheuse impression d’être à la fois dans le trop et le pas assez, avec des personnages qui manquent de « corps », un curieux mélange des genres, une narration un peu trop élastique et une tension mal dosée, concourant pour finir à susciter l’indifférence du lecteur vis-à-vis du sort des protagonistes. Heureusement, la fin, qui réintègre une certaine dimension poétique, remet un peu l’ensemble à niveau. En conclusion, on ressort un poil frustré de cette lecture, qui avait pourtant du potentiel mais ne se distingue que par son superbe graphisme.

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 18 mai 2023