Écaillures des jours
de Marcel Migozzi

critiqué par Eric Eliès, le 5 février 2023
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Pensées fugaces et sensations au fil des jours
Cette plaquette, éditée avec la mention « extraits », ressemble à un carnet d’annotations de sensations brutes et de pensées saisies comme elles surgissent, avant qu’elles ne s’effacent, qui forment une masse vivante de sensations et de souvenirs, où le passé ressuscite dans l’instant présent.

Avril 2009 : J’ai traversé la guerre sur un nuage à peine grisâtre. Ma mère proche, les bombes pouvaient grésiller sans m’épouvanter. Mon père n’avait jamais peur. Le silence des soirs du couvre-feu était même velouté.

Néanmoins, ces notes ne constituent pas un journal : elles ne sont pas datées (juste marquées d’un repère année/mois) et ne cherchent pas à s’ancrer minutieusement dans la continuité des jours. Ecrites à fleur de vie, souvent sur un ton de confidence, avouant les désirs, les espoirs, les craintes et les attentes de l’auteur, elles composent une sorte d’autoportrait restituant la densité d’une vie d’où rayonne une chaleur humaine à la fois intense et sereine, et consciente de sa finitude :

Octobre 2008 : Hôpital. Silence. L’ami en chambre individuelle. A la sortie le panneau « Chambre mortuaire ». Tout a été depuis toujours prévu. En arrivant à la Farrioule, la matinée ayant offert de la douceur hospitalière, aller voir le jujubier jaune clair qui se découronne en paix. Si l’on pouvait disparaître ainsi, auréolée, dans la lumière d’un soir d’octobre.

L’évocation des parents disparus et des amis vieillis, la nostalgie de la ferveur des engagements politiques en écoutant l’Internationale, les heures jardinières et le miracle permanent de cette vie qui éclate dans la floraison, les interrogations secrètes à jamais sans réponse (" Avril 2006 : et toutes ces pâquerettes allumées dans l’herbe n’auraient aucun sens ? "), l’indifférence tranquille du chat qui se prélasse au soleil, les rencontres fugaces avec un passant inconnu dont la fragilité ou la beauté émeut, la splendeur ou l’étrangeté d’un instant ordinaire ne sont pas « racontées » à travers l'écriture : elles sont « restituées », comme si le poète se faisait le témoin contemplatif d’une beauté d’autant plus belle qu’elle est mortelle :

En bordure de l’impasse, dans une terre labourée, fraîchement ocre, l’amandier, aux fleurs rose blanc. Moment de gloire. Ne pas en dire plus avec de la salive. Et ne rien sacraliser. Seulement voir. Se tenir à la lisière de l’invisible. Pressentir qu’on pourrait disparaître.

Le rapprochement des notules donne à ressentir la densité d'une vie et le sentiment d'une présence humaine, qui imbibe le texte et l’irrigue de ses souvenirs, assumant de dire « je » et, par l’écriture, tissant des liens entre sa vie et le monde et l’offrant en partage. L'écriture poétique de Marcel Migozzi est portée par une profonde empathie, voire un élan de compassion envers le monde, et on sent qu’il endosse, presque à la faire sienne, la souffrance et la douleur de tout ce qui vit et meurt, aussi bien un arbre fendu par le gel, qu’un mendiant quêtant quelques sous ou qu’une vieille femme qui marche péniblement sur ses jambes déformées par les varices…

Janvier 2004 : Au feu rouge, l’homme qui va d’une auto à l’autre. Qui tend la main pour manger. Qui parle seul pour vivre. Un carton à la main. J’ai honte, pense à mes parents, mais le feu passe au vert. J’aurais dû ne pas regarder fixement devant moi comme pour éviter de voir trembler des lèvres.

Novembre 2006 : Sur la terrasse, un oiseau rondelet. Mort. Dans ma main, c’est un nuage en suspension. Une vapeur de plumes dans mon argile âgée. La vieillesse ne foudroie pas les oiseaux comme nous. Je l’ai posé sur l’étagère, à côté d’une lampe électrique. Déjà le soir sur lui, avec des mouches.

Dans ces notes déposées sur le papier au jour le jour se manifeste, peut-être plus explicitement que dans les recueils de poèmes de l'auteur, car moins filtré par le tamis d’une poésie apurée à l’extrême, un sentiment d’amour envers les êtres et le monde.