Elle
de Eugène Guillevic

critiqué par Septularisen, le 3 février 2023
( - - ans)


La note:  étoiles
«Et ce qu’il faut de ruse // Pour être ce qu’on est.»
«C’est en elle
Que les courbes

Trouvent leur perfection.»

Bien avant de paraître dans le recueil «Possibles futurs» dans la collection de poche «Poésie» chez Gallimard (1996, réédité en 2015) (1), une petite plaquette inédite à l’époque, constitua en 1992, le premier volume de la collection GRAPHITI (collection qui allait devenir avec le fil du temps la collection de référence en ce qui concerne la poésie au Luxembourg), chez l’éditeur luxembourgeois PHI. Son titre ? «Elle», son auteur Eugène GUILLEVIC (1907 – 1997).

«Elle sait
Qu’elle ne sera
Pas toujours la même,

Elle fait comme si.»

Ce petit recueil, qui compte une quarantaine de très courts poèmes, se présente comme un hommage à une personne de sexe féminin, dont nous ne saurons jamais le nom, puisque toujours nommée avec le pronom personnel féminin… «Elle»!

«Pour dire
La beauté du jour,

Elle n’a pas besoin
De dire.

Il lui suffit d’apparaître
Sur le pas de la porte.»

Un mot à la place de dizaines, centaines, milliers d’autres. On peut ainsi en lisant ces poèmes remplacer le mot «Elle», par de nombreux autres: la mort, la femme, la vie… Etc etc…

««Porteuse
D’assez de douceur
Pour pouvoir la cacher.»

Mais encore? Et bien, comme toujours dans sa poésie, M. GUILLEVIC va à l’essentiel. Il dit le maximum en un minimum de mots.

«La pesanteur est en elle
Juste ce qu’il faut
Pour que la terre
La retienne.»

C’est «lapidaire», définitif. Cela n’est pas sans rappeler les Haïkus japonais, ou plus près de nous, la poésie de la luxembourgeoise Anise KOLTZ (*1928, de son vrai nom Luise Anna BLANPAIN) (2).

«Si elle n’était pas,
Que serait ton aujourd’hui?»

C’est une poésie «sobre», frugale, sculptée, décortiquée, désossée, ciselée, rugueuse, afin qu’il ne reste que l’essentiel.

«Je la vois,
Nue à l’horizon,

Grandeur nature,
C’est-à-dire

Les pieds sur la lande,
La tête au zénith.»

Mais c’est aussi une poésie généreuse, avec les mots de tous les jours, spontanée, incontrôlée, avec de l’imagination et du langage…

«Elle possède
Ce qui fait qu’on regarde

Couler l’eau du ruisseau
Sans jamais se lasser.»

Bien, comme toujours pour parler de poésie, laissons maintenant la parole au poète:

«Ses seins
Gardent le secret,

En appellent
Au silence.

Ils sont ce qu’elle a
De plus planétaire.»

Voilà, inutile d'en dire plus. Si Eugène GUILLEVIC est très (trop) souvent l'oublié des manuels scolaires et des collections littéraires, il n'en reste pas moins un des plus grands poètes français du XXe S. dont l’œuvre plus qu'à découvrir est a redécouvrir!..

Rappelons que M. Eugène GUILLEVIC a reçu en France: Le prix Breizh-prix Bretagne en 1975, le Grand prix de poésie de l'Académie française en 1976, le Grand prix national de la poésie en 1984, le Prix Goncourt de la poésie en 1988, et à l'international: Les «Couronnes d'Or» (Golden Wreath) 1976, des Soirées poétiques de Struga, considéré comme le plus important prix littéraire dans le domaine de la poésie. Son nom a également été proposé à de nombreuses reprises pour le Prix Nobel de Littérature.

(1) : Cf. ici sur CL : https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/17874
(2) : Cf. ici sur CL : https://critiqueslibres.com/i.php/vauteur/14361