Une terre commune
de Cédric Herrou

critiqué par Cyclo, le 23 janvier 2023
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
Sommes-nous libres d'être fraternels ?
Cédric Herrou qui vit dans la vallée de la Roya, tout près de la frontière italienne, a commencé dès 2016 à accueillir des migrants (c’est-à-dire des "hommes et femmes") réfugiés, ce qui lui a valu des ennuis policiers et judiciaires jusqu’à être poursuivi pour "délit de solidarité". Soit en les amenant avec sa voiture quand l’occasion le permettait, ou bien en les accueillant à la frontière. Très conscient que ces "hommes et femmes" avaient "pu encaisser une telle violence, un tel racisme primaire ordonné par une élite censée être la garante d’un pays de droit", il a regimbé à juste titre, en tant que citoyen, contre un tel déni d’humanité : il s’est senti "le devoir de dénoncer l’inacceptable, car notre silence nous rendrait complices".

Liberté, égalité, fraternité : la devise républicaine lui paraissait être malmenée : "sommes-nous libres d’être fraternels ?", s’est-il demandé. Et sa réponse a été OUI. Il a découvert des hommes et des femmes, des frères en humanité, "partis seuls de chez eux par obligation ou par nécessité, [qui] avaient vécu la souffrance du détachement familial, la violence de la Libye, le traumatisme de la traversée de la Méditerranée, puis vivaient maintenant l’abandon de l’Europe" !

"Les enfants comme les femmes, les hommes et les familles étaient systématiquement renvoyés de l’autre côté de la frontière, en totale contradiction avec les textes de loi en vigueur, les conventions de Genève, les droits de l’homme et les droits de l’enfant. Le droit était piétiné par ceux censés les faire respecter." Heureusement, il a pu rencontrer aussi des gendarmes chez qui "derrière l’uniforme se cachent des êtres en désaccord avec les ordres", sans doute insuffisamment nombreux, mais qui lui ont permis de ne pas désespérer de l’humanité.

Il a pu organiser le CCH (Centre Cédric Herrou) : sa ferme a été transformée en lieu d’accueil, où vivent un certain nombre de réfugiés qui retrouvent le minimum de dignité pour continuer à vivre. Il a fondé l’association Emmaüs Roya, lieu de vie solidaire où quand l’un "d’entre nous souffre, c’est tout le groupe qui souffre : être empathique, sentir la souffrance de l’autre dans son propre corps." Où il s’agit de "faire corps pour se faire entendre des puissants qui méprisent l’individu esseulé ou le groupe marginalisé par l’oubli." Tout n’est pas facile, certes, les amendes, les procès se sont accumulés, mais Cédric Herrou n’a jamais abdiqué. Il reçoit le soutien de beaucoup de personnes, non seulement en France, mais en Italie et dans le monde entier.

C’est un homme encore jeune, mais un homme debout qui regrette que l’État s’attaque toujours aux petits. "Le Ministère de l’Intérieur [...] pourrait décapiter les organisations de trafic de drogue mais s’acharne contre les petits dealers en banlieue. Il pourrait lutter contre l’évasion fiscale mais s’en prend aux bénéficiaires des aides sociales. Il pourrait lutter contre la corruption mais préfère s’acharner sur la petite délinquance. Et voilà qu’il s’étonne de la montée en puissance de l’extrême droite alors qu’il en incarne l’idéologie et la méthodologie."

Et il conclut ce petit livre salutaire par des paragraphe qui commencent par "Nous avons le devoir d’être utopiques, de rêver, sans pour autant être muet, […] non, il n’existe pas qu’une manière d’accueillir. Il y en a autant que d’hommes et de femmes sur terre." Oui, il faut et il faudra se battre pour un monde où l’on ne verra "pas des médecins légitimer leur refus de soigner, ou l’Aide sociale à l’enfance contester la prise en charge de mineurs isolés", où l’État ne décidera pas "de chasser migrants et aidants, sans discussion, sans concertation, par la force et la menace."

Vous l’aurez compris, voilà un livre tout petit, mais dont le pouvoir est grand, nous réconcilier avec nous-mêmes et avec les autres. Il y avait longtemps que je n’avais lu un texte aussi roboratif, un texte qui m'a rendu plus fort, qui m'encourage autant à vivre.