Quai ouest
de Bernard-Marie Koltès

critiqué par Septularisen, le 20 janvier 2023
( - - ans)


La note:  étoiles
BERNARD-MARIE KOLTÈS COMME VOUS NE L'AVEZ JAMAIS LU!
Au début de l’histoire, nous sommes en pleine nuit sur les quais d’une ville qui ne sera jamais nommée (Marseille?). Plus précisement, nous sommes dans un quartier abandonné, déserté par ses habitants, près d’un vieux hangar désaffecté, là même où autrefois s’arrêtait le ferry. Arrive alors une très belle voiture, une Jaguar, avec à son bord deux personnes. Maurice Koch et son chauffeur Monique (Koch ne sait pas conduire…).

Koch a choisi cet endroit pour mourir. Il a en effet perdu tout l’argent qu’une maison de retraite lui avait confié en spéculant, et ne veut pas en assumer les conséquences devant le Conseil d’Administration. Il prévoit donc de se jeter dans le fleuve, dans un endroit désert, et, parce qu'il craint de flotter, il prévoit de mettre deux lourdes pierres dans les poches de son costume, afin de disparaître définitivement.

Il traverse le hangar, avance sur la jetée, met deux pierres dans les poches de sa veste, se jette à l'eau… Mais, tout ne se passe pas comme prévu, puisque quelqu'un, qu'il ne connaît pas, plonge derrière lui et le repêche… En effet, pour Charles et les derniers habitants du quartier, Maurice, qu’ils supposent être riche, - au vu de sa voiture -, représente leur dernière chance de s’en tirer…

Avant qu’il ne meure, et pour qu’il meure, ils vont essayer de lui soutirer de l’argent… Commence alors un véritable «défi», un choc - entre deux mondes, deux cultures -, qui va durer toute la nuit…

«Quai Ouest» occupe une place un peu à part dans la carrière de Bernard-Marie KOLTÈS (1948 – 1989, ci-après dénommé BMK), puisque c’est une des rares pièces mises en scène directement après avoir été écrite par son auteur. C’est une sorte de tragédie, bien que BMK en parlait plutôt comme d’une pièce drôle et que les acteurs devaient l’interpréter ainsi. Il n’ y a pas de tendresse, pas d’amour, tout est dans le commerce, l’échange, le trafic, la magouille, les compromissions. C’est très influencé par le théâtre de l’absurde, notamment par Samuel BECKETT (1906 – 1989), surtout dans les dialogues qui opposent les différents personnages.

C’est bien écrit, très simple à lire, cela se lit d’ailleurs en quelques heures. Attention toutefois, la construction n’est pas facile, et il y a une multitude de personnages, le lecteur a donc bien intérêt à retenir qui est qui. C’est typiquement du BMK, avec p.ex. l’entrepôt désaffecté, qui avec son côté oppressant, lugubre, devient un véritable personnage à part entière de la pièce de théâtre.

Mais, je voudrais surtout ici parler de la beauté des personnages imaginés par BMK. Ce sont tous, d’une façon ou d’une autre des «cabossés» de la vie. Tous essayent plus ou moins maladroitement d’échapper à leur condition. Tous n’y réussissent pas! Sauf ceux qui meurent, puisque dans l’optique de BMK, la mort est aussi une façon d’échapper à sa condition sociale.
Malgré le fait que la pièce ne fait qu’une centaine de pages, tous sont très fouillés psychologiquement, et BMK nous explique bien ce que Koch représente pour chacun d’entre eux…
On a d’un côté Koch, capricieux et secret, qui voudrait juste se suicider et Monique qui voudrait juste rentrer chez elle, et de l’autre, Charles qui voudrait partir de ce quartier, Abad, le réfugié noir qui voudrait retourner dans son pays, Cécile la mère de Charles qui voudrait soutirer de l’argent à Koch, Rodolphe, le père de Charles, qui voudrait qu’on le laisse tranquille, Claire, la sœur de Charles, qui voudrait devenir quelqu’un dans la vie… Ils ne sont ni faibles, ni indécis, ni mauvais, ni bons… Ils sont tous comme «empêchés» d’accomplir leur destin dans la vie…

Pour ceux qui voudraient avoir une idée de la pièce, et se rendre compte de son «ambiance», cela ressemble à s'y méprendre avec le film «Rue Barbare» (1984), de Gilles BEHAT (*1949), avec Bernard GIRAUDEAU (1947 - 2010) et Bernard-Pierre DONNADIEU (1949 - 2010). (1).

Sans aucun doute une des plus belles pièces de théâtre de Bernard-Marie KOLTÈS, c’est dire si je conseille sa lecture!..

La pièce «Quai Ouest» a été écrite en 1985, et mise en scène pour la première fois en 1986 au théâtre des Amandiers à Nanterre par Patrice CHÉREAU (1944 – 2013). Avec, parmi les interprètes: Isaak De BANKOLÉ (*1957) ; Maria CASARÈS (1922 – 1996) et Jean-Marc THIBAULT (1923 – 2017).

(1). Cf. ici sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Rue_barbare