L'héritage
de Bernard-Marie Koltès

critiqué par Septularisen, le 8 janvier 2023
( - - ans)


La note:  étoiles
LA FOLIE VUE PAR BERNARD-MARIE KOLTÈS!
Au début de la pièce et pour toute sa durée, c'est la nuit. Nous sommes dans une maison cossue au milieu de la campagne, à quelques kilomètres d’un village. Un cadavre gît au milieu d’une pièce, c’est le patriarche (dont nous ne saurons jamais le nom…), le père de Pahiquial, et le mari d’Anne-Agathe, désormais veuve.

Une foule de domestiques s’affaire autour du corps du défunt, sous la houlette du majordome Constantin toujours impassible. Si Anne-Agathe s’en prend au défunt qu’elle accuse de lâcheté et de l’avoir abandonnée, tous le poids des évènements est maintenant sur les épaules de Pahiquial, qui est à présent «L’héritier», mais celui-ci aura-t-il les épaules assez larges pour assumer la charge qui lui incombe désormais?

Tous semblent pris d’une peur, une hystérie, - provoquée par la maison où ils habitent -, qu’ils ne semblent pas pouvoir maîtriser, même la pauvre Thérèse la fiancée de Pahiquial. Mais le pire est encore à venir, puisque à l’extérieur, il ne fait guère meilleur. Le village sur lequel s’abattent des trombes d’eau et où des corps jonchent les rues, est aussi en proie à la folie, à la guerre et aux chiens. Les habitants du village s’apprêtent d’ailleurs à envahir la maison de Pahiquial…

Cette pièce a été écrite en 1972, lorsque Bernard-Marie KOLTÈS (1948 – 1989, ci-après dénommé BMK) avait vingt-quatre ans, c’est dire le génie précoce de son auteur. «L’héritage» a connu une carrière éclair, et valut à son auteur, alors quasi inconnu, sa première grande audience dans le monde du théâtre.
Elle n’a malheureusement jamais été jouée du vivant de son auteur, sinon nous aurions sans doute des détails scénographiques beaucoup plus complets. Restée inédite, elle n’est parue qu’en avril 1998 (soit plus de dix ans après la mort de son auteur), afin de faire connaître les vraies pièces de théâtre de BMK, à partir des manuscrits originaux annotés par l’auteur, puisque des versions plus ou moins authentiques circulaient à l’époque.

Que dire de plus sur cette pièce de théâtre qui frôle la folie et le délire? Disons tout d’abord que c’est une pièce fondatrice dans l’œuvre de BMK, véritable pierre d'angle, jalon pour toute l'œuvre future de l’auteur. La diction et la gestuelle des personnages sont très importants en ce qu’ils reflètent l’hystérie qui s’est emparée d’eux à la mort du patriarche. L’hystérie semble d’ailleurs faire «tache d’huile», puisque tour à tour, tous les personnages seront touchés à des degrés divers.

Comme toujours chez l’auteur français, c’est écrit dans une langue limpide, jaillissante, surgissante, corrosive, non sans une certaine poésie d’ailleurs. Cela se lit facilement, et quelques heures de lecture suffisent, même si le langage est un peu répétitif parfois. On peut y voir une métaphore de l’incommunicabilité, mais aussi du manque d’amour et de la mort… Le tout reporté dans une maison, dans une famille. Une sorte de cauchemar en huis-clos, avec des cris, des insultes, des obscénités, des gestes violents, de la folie…

Encore une fois, sans doute pas le texte le plus facile de l’auteur de théâtre contemporain le plus joué à travers le monde. Je ne conseillerais donc pas cette pièce à un novice de l’œuvre de BMK, puisque pas assez représentative de son style et de son talent. Par contre, pour celui qui a déjà une expérience avec le théâtre de l’auteur français… Pourquoi pas?...


«L’héritage» a été enregistré en 1972, d’abord à l’ORTF de Strasbourg dans une réalisation de Jacques TARONI, avec les comédiens du Théâtre du Quai (la compagnie fondée par BMK lui-même). Puis pour une émission de Lucien ATTOUN à France Culture réalisée par Evelyne FREMY, avec Hubert GIGNOUX et Maria CASARÈS dans les rôles principaux. Elle a été créée dans une mise en scène de Catherine MARNAS à Paris, au Théâtre des Abbesses, en octobre 1997.