Côte-des-Nègres
de Mauricio Segura

critiqué par Libris québécis, le 25 octobre 2004
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Les Fils d'immigrants
Le quartier Côte-des-Neiges est l’un des plus cosmopolites de Montréal. Il s’étale à l’ombre du Mont Royal qui domine la ville. Les Québécois de souche y sont fort peu nombreux. C’est presque un ghetto. C’est si vrai que, la semaine dernière, on a refusé de me servir dans un restaurant à cause de mes origines. Paradoxalement, autour d’une université et de deux grandes librairies françaises vit une population concentrée d’immigrants qui cherche à s’intégrer à la culture anglaise. Les jeunes se côtoient dans les endroits publics sans se parler. Ils forment même des cliques à l’adolescence pour exprimer leur diversité culturelle en recourant à des moyens qui tournent parfois au vinaigre, voire en tragédie.

Mauricio Segura, d’origine chilienne, connaît bien ce quartier pour y avoir vécu son enfance avec ses parents qui ont fui le régime de Pinochet. Avec ce roman, il témoigne de son expérience au sein d’une population hostile à la différence, particulièrement à l’âge que prend forme l’image identitaire. Pas surprenant que naissent des gangs d’adolescents qui s’affrontent pour revendiquer leur appartenance au quartier. C’est une question de survie dans un milieu très diversifié et dans un Québec très divisé au sujet de la question nationale. Ce contexte constitue l’essentiel de Côte-des-Nègres. Cette appellation dérisoire et communément employée n’implique pas la prépondérance des Noirs dans le quartier. Elle est empruntée aux policiers qui le désignent ainsi.

Le roman évoque donc la rivalité entre un gang formé d’Haïtiens et un autre formé de Sud-Américains. Leurs chefs, deux amis au cours de leurs études primaires, se livreront une lutte sans merci pour défendre des points d’honneur qui devraient assurer leur place dans le quartier. Leurs combats souterrains s’organisent dans les milieux qu’ils fréquentent comme l’église et l’école Saint-Pascal-Baylon et trouvent leur dénouement dans le parc Kent situé en face. Grâce à cette œuvre, on découvre le climat qui préside à l’éclosion de ces querelles méconnues des adultes. Et pour cause. Comme immigrants, les rôles sont inversés. À cause de la fréquentation scolaire, les jeunes initient les parents aux us et coutumes du pays d’accueil. Laissés à eux-mêmes à cause des circonstances, ils se donnent une force en s’unissant et en l’exerçant par la suite contre leurs frères exilés. Ce manque d’encadrement conduit inexorablement à la violence et à la criminalité.

Ce roman compte parmi les rares à donner l’image du vrai Montréal, un Montréal multiethnique, un Montréal qui se criminalise, un Montréal bien différent de celui de Michel Tremblay qui a exploré la population du flan est de la montagne alors que Mauricio Segura a exploré le flan ouest. Ces auteurs ne donnent pas dans la sociologie, mais ils font un portrait assez juste d’un monde, somme toute, misérable, un monde présenté aussi avec ses distinctions linguistiques et sociales. Bref, Côte-des-Nègres rend compte avec efficacité d’une réalité difficile à admettre.