Toute une moitié du monde
de Alice Zeniter

critiqué par Veneziano, le 4 janvier 2023
(Paris - 46 ans)


La note:  étoiles
La littérature, objet principalement masculin
L'auteure de ce livre a toujours été une très grande lectrice et s'est toujours demandé à quel grand personnage féminin elle pouvait s'identifier. Puis, ses interrogations ont pris fin le jour où elle a réalisé que les grandes oeuvres littéraires avaient été conçues par des hommes, via le prisme de leur regard, de leur état d'esprit. Il en ressort une misogynie latente, une psychologie souvent faussée des rapports de genre. Subséquemment, elle tente de savoir comment rééquilibrer la balance, comment rencontrer bien davantage des analyses féminines, ou au moins objectives.
Cet essai parle donc de cette quête de descriptions raisonnées, le ton adopté étant vif, tonique, l'état d'esprit, blasé mais combatif. La colère est assumée, au moins une profonde indignation ; et ce livre présente donc l'intérêt de faire réfléchir sur la conception des grandes narrations qui ont pu nous séduire, notre état d'esprit de lectrice et de lecteur, potentiellement conditionné. Je serais tenté de nuancer la ligne générale du propos, certains auteurs masculins arrivant à décrire la psychologie féminine de manière objective, comme notamment Stefan Zweing. L'auteure ouvre au moins le débat de manière animée, avec clarté et franchise.
Le statut de la femme dans les romans 8 étoiles

« Bien qu'on soit deux moitiés de la société,
Ces deux moitiés pourtant n'ont point d'égalité :
L'une est moitié suprême et l'autre subalterne ;
L'une en tout est soumise à l'autre qui gouverne »
C'est ainsi que au 17e siècle, le vieil Arnolphe, dans la comédie de Molière, L'ECOLE DES FEMMES présentait le rapport entre la gent masculine et la gent féminine dans la société en général et dans le couple en particulier.

On en sourit, bien sûr , mais qu'en est-il de nos jours, dans le monde de la littérature ?

C'est à cette question qu'Alice Zéniter, qui depuis 2010 appartient à la catégorie des gens de lettres, réfléchit ici, à trois titres, celui d'auteure, celui de lectrice et celui de chargée d'enseignement universitaire .

Jetant un regard décapant sur la production romanesque classique qui a alimenté ses lectures pendant son adolescence, elle déplore l'image stéréotypée de leurs héroïnes « les personnages féminins que je rencontrais lors de ces lectures étaient des prisonnières, des recluses ou des ballottées par la volonté des forts » et sur l'incapacité des romanciers « à produire des personnages féminins qui soient autre chose que leur propre fantasme »
Difficile alors pour une lectrice actuelle d'en faire des modèles ou de s'identifier à elles .

Même si dans la dernière partie qui porte sur la narratologie, elle adopte un ton plus sérieux, la tonalité générale de ses propos est toujours alerte, souvent incisive.
Son but est d'instaurer une complicité avec la lectrice ( à laquelle semble le plus souvent s'adresser l'ouvrage) et de réveiller sa conscience habituée à des schémas traditionnels .

TOUTE UNE MOITIE DU MONDE : un ouvrage stimulant qui nous invite à repenser nos regards sur les personnages féminins des romans .

Alma - - - ans - 28 février 2023