La première habitude
de Françoise Lefèvre

critiqué par Sahkti, le 25 octobre 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Le bonheur tient à peu de choses
"La première habitude" relate les années de misère de la narratrice, de la misère conjuguée au bonheur. Bonheur d'errer dans le monde et de soulever des montagnes pour faire vendre les toiles de Raphaël, son compagnon-peintre. Bonheur superbement décrit de donner la vie et de voir grandir une part de soi-même. Bonheur de vivre en liberté et en harmonie quasi parfaite avec la nuit et le silence. Avec de multiples coups de massue sur ces bonheurs fragiles. Les humeurs de Raphaël, son découragement, les conditions matérielles plus que délicates, la fuite, la trahison, l'amour bafoué et la résignation avant le déclic. Une vie pas rose du tout envers laquelle l'auteur proclame pourtant tout son amour.
C'est le troisième ouvrage de Françoise Lefèvre que je découvre et lis avec un plaisir grandissant. J'aime la violence avec laquelle l'auteur raconte la vie et ses difficultés, le côté brut de son écriture qui respire, une fois encore, la spontanéité et la franchise.

Elle vit et bourlingue avec Raphaël, qui se présente comme un grand peintre mais peine à vendre ses toiles. Alors c'est la pauvreté, les journées sans un franc et sans manger, le froid, la peur, la survie de chaque instant pour nourrir un enfant en bas âge.
Malgré les conditions plus que précaires dans lesquelles se déroulent le récit, il s'en dégage une certaine sérénité, voire une sagesse qui laisse pantois. De la révolte, certes, face à cette chienne de vie mais pas d'amertume ni de jalousie. La vie est belle, peu importe la couleur dont elle se vêt, et il faut en profiter.
Ce ne sont pourtant pas les obstacles qui manquent et dès qu'un rayon de soleil pointe le bout du nez, un gros nuage ne tarde pas à faire son apparition. Comment ne pas être las face à autant de murs à abattre, comment ne pas avoir envie d'abandonner, comment trouver la force de continuer... Cette force, la narratrice la possède, elle nous le démontre avec beaucoup de simplicité et de conviction.

Cela provoque chez moi la naissance de quelques questions, auxquelles, je l'espère, les spécialistes de Françoise Lefèvre pourront me répondre.
Ce récit est-il (un peu, beaucoup, entièrement...) autobiographique ? J'ai constaté de nombreux recoupements dans les récits de Françoise Lefèvre que j'ai lus, certains sujets reviennent à chaque fois.
Est-ce que cela a été écrit bien après tous ces événements ? De manière telle que cela fournisse le recul nécessaire pour permettre à cette sensation d'apaisement que j'ai ressentie de prendre son envol ?
Et sa famille, ses filles, ce Raphaël, sont-ils tous des êtres réels ? Se sont-ils reconnus et aimés dans ces lignes ?

J'ai relevé de beaux passages, dont un que je glisse ici en forme de clin d'oeil et de remerciement à Sabine Bourgois:
"Une autre que moi écrit, plus dure, plus vengeresse que moi. Une autre que moi écrit à la bougie dans la chambre de la Bastille. Une autre que moi regarde les cafards sortir des lames du plancher et les tue parfois d'un coup sec. Cette absence, ce travail, cette chambre sont des malentendus. Une autre que moi les assume. L'envie d'écrire est née pourtant dans cette chambre dégoûtante."
et les suivantes 6 étoiles

Cette première habitude, il me semble que c'est le premier amour tout simplement, avec toute sa force, sa naïveté, son oubli de soi, lorsqu'on croit encore pouvoir changer l'autre. Depuis le temps que je l'ai lu, j'ai maintenant envie de dire, heureusement qu'il y en aura d'autres...

Maria-rosa - Liège - 69 ans - 25 octobre 2004