Prémonition
de Etel Adnan

critiqué par JPGP, le 1 janvier 2023
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Etel Adnan : l'immense petite prose
Lire permet parfois des illuminations. « Prémonition » d’Etel Adnan le prouve. L’auteure n’est pas une inconnue. Son œuvre plastique est reconnue dans le monde entier. Originaire de Beyrouth la créatrice connaît parfaitement le français et l’anglais. Elle commença son œuvre dans la première langue avant de passer à l’anglais pour des raisons politiques (guerre d’Algérie d’un côté, solidarité avec les mouvements américains contre la guerre au Vietnam). Elle opte pour l’anglais en même temps qu’elle s’engage dans le langage muet de la peinture, devient auteure américaine mais connaît la notoriété en écrivant en français son livre le plus célèbre « Sitt Marie-Rose ». Engagée, représentante d’institutions, journaliste elle se frotte aussi à l’art lyrique (avec Bob Wilson et Gavin Bryars).

« Prémonition » restera un livre d’exception. Ecrit en prose il exclut la narration, la description comme la pure spéculation philosophique. Dégagée des mots précieux ou des figures de rhétorique son écriture est l’exemple parfait de la recherche de l’insaisissable revendiqué comme tel. La vie dans sa complexité devient un chant unique dégagé de lyrisme. Il lie l’intime et le cosmos : « Je suis la tempête et je suis la nuit. Plus qu’une nuit d’orage. Une fusion des deux qui produit un troisième élément : l’énergie qui se joindra à d’autres ; mais je ne serai plus là pour le savoir » écrit l’auteure.

Sans narcissisme elle dit écrire pour aucune postérité si ce n'est celle "rétroactive" de Choderlos de Laclos, Fromentin ou Beckett. Contrairement à ce dernier, éloignant l’écriture de tout désespoir et morbidité comme de l’humour ou du dérisoire, elle atteint néanmoins à ses côtés un degré supérieur d’émotion et de vérité. L’écriture englobe et prolonge l’expérience humaine. « L’esprit doit planer au-dessus des forêts à la recherche de la rivière qui les nourrit » écrit celle qui précise « Il se heurte à ses propres doutes et tombe dans les gouffres où ses anciens méfaits grouillent toujours ». Le poème en prose ne se veut donc pas légende. Il cheville la femme à son œuvre comme l’être à l’existence dont les « ruptures donnent lieu à des nuits diluviennes. Nuits révélation de la nuit ».

Jean-Paul Gavard-Perret



Adnan Page couv.jpgLire permet parfois des illuminations. « Prémonition » d’Etel Adnan le prouve. L’auteure n’est pas une inconnue. Son œuvre plastique est reconnue dans le monde entier. Originaire de Beyrouth la créatrice connaît parfaitement le français et l’anglais. Elle commença son œuvre dans la première langue avant de passer à l’anglais pour des raisons politiques (guerre d’Algérie d’un côté, solidarité avec les mouvements américains contre la guerre au Vietnam). Elle opte pour l’anglais en même temps qu’elle s’engage dans le langage muet de la peinture, devient auteure américaine mais connaît la notoriété en écrivant en français son livre le plus célèbre « Sitt Marie-Rose ». Engagée, représentante d’institutions, journaliste elle se frotte aussi à l’art lyrique (avec Bob Wilson et Gavin Bryars).

« Prémonition » restera un livre d’exception. Ecrit en prose il exclut la narration, la description comme la pure spéculation philosophique. Dégagée des mots précieux ou des figures de rhétorique son écriture est l’exemple parfait de la recherche de l’insaisissable revendiqué comme tel. La vie dans sa complexité devient un chant unique dégagé de lyrisme. Il lie l’intime et le cosmos : « Je suis la tempête et je suis la nuit. Plus qu’une nuit d’orage. Une fusion des deux qui produit un troisième élément : l’énergie qui se joindra à d’autres ; mais je ne serai plus là pour le savoir » écrit l’auteure. Sans narcissisme elle dit écrire pour aucune postérité si ce n'est celle "rétroactive" de Choderlos de Laclos, Fromentin ou Beckett. Contrairement à ce dernier, éloignant l’écriture de tout désespoir et morbidité comme de l’humour ou du dérisoire, elle atteint néanmoins à ses côtés un degré supérieur d’émotion et de vérité. L’écriture englobe et prolonge l’expérience humaine. « L’esprit doit planer au-dessus des forêts à la recherche de la rivière qui les nourrit » écrit celle qui précise « Il se heurte à ses propres doutes et tombe dans les gouffres où ses anciens méfaits grouillent toujours ». Le poème en prose ne se veut donc pas légende. Il cheville la femme à son œuvre comme l’être à l’existence dont les « ruptures donnent lieu à des nuits diluviennes. Nuits révélation de la nuit ».

Jean-Paul Gavard-Perret