La Traversée des sangliers
de Kuei Hsing Chang

critiqué par Tistou, le 31 mars 2024
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Des têtes coupées comme s’il en pleuvait !
Très particulier que cette Traversée des sangliers. Ecrit par un auteur Taïwanais et portant sur le Nord Ouest de l’île de Bornéo, dans la jungle malaisienne. Comment un Taïwanais peut en venir à conter une histoire qui porte sur l’occupation de cette île par les Japonais durant la Seconde Guerre Mondiale ?
Décembre 1941, l’armée japonaise (les « monstres » comme les appelle les locaux) occupe progressivement les côtes de l’île et notamment Krokop, alias « le Bouk aux sangliers », le village qui va nous intéresser principalement. Une bonne partie de la population est d’origine chinoise, une Chine qui est en guerre avec le Japon depuis quatre ans déjà. La première action des Japonais arrivés à Krokop consiste à réprimer tous ceux qui avaient formé un « Comité de Sauvetage de la Patrie et des Réfugiés », une action de levée de fonds aux allures de kermesse de village, bien inoffensive. Et la répression par les Japonais consiste en … coupage de têtes. Au sens décapitation par le sabre. On fait agenouiller le fautif et bim, d’un coup de sabre, la tête s’envole.
Ca va être largement sanglant à partir de là même si pas à proprement parler gore mais … sanglant, oui c’est le mot !
D’ailleurs l’entame du roman donne le ton :

»Ce soir-là au crépuscule, quand KwanA-hung se pendit sous le jaquier, un feu de plaine tournoyait dans les chaumes, une brume sale et poisseuse se répandit sur la campagne et engloutit la moitié de Krokop, le Bouk aux sangliers. Un soleil rougeoyant flottait, strié par les vapeurs et les fumées, tel un banc de carpes dorées …/…
Quand les fumées qui enveloppaient le domaine de Kwan A-hung se furent peu à peu dissipées, les gosses traversèrent la clôture et virent son corps sous le jaquier.
« Peh-youn », dit un enfant, un martin-pêcheur et une pie pendaient à son cou, « ton papa s’est pendu ! » …/…
Quand Peh-youn et la bande de gamins arrivèrent sous le jaquier, son père avait déjà été décroché de l’arbre par les villageois, ils l’avaient étendu sur le sol, la fumée s’enroulait en volutes dans ses cheveux ébouriffés, sur son cou était imprimée la marque profonde de strangulation qui faisait comme une brûlure. La corde suspendue au tronc de l’arbre se balançait sous le vent brûlant du sud-ouest, un nœud coulant avait été noué à son extrémité. Cette corde, c’était celle que Peh-youn avait accrochée au jaquier un an plus tôt, il y avait arrimé un pneu en guise de balançoire. »


Le ton est d’une violence qui semble naturelle dans la population tant les morts violents abondent (la plus courante étant la décapitation, apparemment bien appréciée de la soldatesque japonaise !).
Mais l’extrait donne à voir aussi la qualité d’écriture et l’immersion que fait le lecteur tout du long du roman dans cette nature d’une exubérance délirante qu’est la jungle de Bornéo. L’auteur flirte parfois avec l’onirique, juste un peu, juste assez pour déstabiliser le lecteur.
Au bout du bout, les Américains, les Australiens viendront chasser les Japonais avec la fin de la guerre mais il ne restera plus grand monde au « Bouk des sangliers »
Une chose est sûre : la réputation de cruauté des armées japonaises durant la seconde guerre mondiale ne semble pas surfaite !
Un grand bol de dépaysement dans la jungle bornéenne garanti, un autre monde.