Analogues
de Jean-Pierre Faye

critiqué par JPGP, le 25 décembre 2022
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Aux racines du Récit
« Analogues » prend racines sur trois récits qui le précèdent : « Entre les rues », « La Cassure » et « Battement ». Mais il n’est pas nécessaire de connaître ces trois piliers. Croissent, se multiplient et se croisent diverses personnages qui ressemblent parfois à des ombres animantrices d’un récit autobiographique implicite et d’un synopsis d’un film d’amour. Le propos est ambitieux, paradoxalement simple, touchant (très souvent) et intelligent (toujours). Le corpus supporte les questions de la poétique et du romanesque : Faye y engage la totalité du rapport de la langue de et à la tribu (Mallarmé) qui la parle et l’entend. Comme peu d’auteurs l’écrivain ne cesse de se rapporter à l’histoire (au présent) , ses problèmes, ses inconséquences. Il crée ainsi l’élargissement de la fiction : elle se développe - sous prétexte d’imaginaire - de façon vrai. Ou comme disent les enfants « pour de vraie ».

Le texte reste autant  programmatique que porteur de coups « d’après » (et non d’apprêt) portés au réel. Sans le moindre logos mais non sans éros larvé il avance en multi-faces. Face à la poétique du désastre et de son simple constat l’auteur - dans l’alliance des phénomènes de la fiction et de la réalité - ne fige rien. Ces deux régimes s’émancipent de leur cadre. Ils trouvent une « extimité » jusqu’au sein de l’intime en ce qui peut être considéré comme un affranchissement du genre - ou de l’acte - romanesque. L’écriture devient extensible selon divers types d’ambiguïtés narratives concertées. Elle se segmente en dialogues ou récits ersatz générateurs de plans-séquences. L’auteur met à nu l’ambiguïté du réel et de sa narration au sein de ce qui devient quelque chose de l’ordre du post-romanesque.

Par recoupements et échos le texte crée une synchronie. Elle fonctionne selon différents ricochets  qui interrogent la fiction et le temps, le temps de la fiction comme celui de la politique dans ses différentes fictions. Néanmoins par l’élargissement et l’éclatement d’ « Analogues » le chant semble encore possible – sans illusion mais non sans rêve. Faye propose donc par la bande un renouvellement de la poétique-fiction comme de la narration du réel.

Le texte ne contribue plus à la « publicité » d’une réalité relayée par les idéologies ambiantes. Son auteur les déconstruit dans une prose en poésie qui rebondit d’un fragment à l’autre. Elle impose un renouvellement et une évolution voire une révolution de la littérature au sein des involutions du récit et ses encoches. Plutôt que de vouloir réguler le discours, le texte l’informe ou le déforme selon un chant qui ne refuse jamais la trivialité des « choses » minimes des activités humaines (le manque d’air, la position d’un oreiller, etc.).

Une telle prose peut néanmoins être qualifiée de lyrique par l’élargissement du genre et son retournement. Le tout non sans sobriété : elle lie les intensions de la précision du récit à une sorte de chant universel mais dans lequel l’universalisme (ou ce qu’on appelle aujourd’hui le mondialisme) est mis à mal. Existe une « perversion » qui n’appartient qu’à Faye. Sous la classification choisie, son texte jouit d’une  extraordinaire diversité de  styles, de formats d’intention mais non de langue. L’auteur s’y révèle comme un des plus grands penseurs et prosateur de notre époque. Scandaleusement passé sous silence sa écriture  est pourtant accessible. Mais il y a plus : l’auteur y fait preuve d’une responsabilité par rapport au réel que peu de créateurs cultivent.

Jean-Paul Gavard-Perret