Parler
de Pierre Alféri

critiqué par JPGP, le 21 décembre 2022
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Ce que parler ne veut pas dire - Pierre Alferi
Au début, entre deux protagonistes moins aphones qu’en mal de création, se crée « du » discours : sous ce mot générique les indices formels ont du mal à faire sens. Ils suivent leur cours, crée du vivant inconséquent. Celui-ci fait la saveur d’un texte aussi inopportun qu’incongru et très astucieux. Ce premier échange est vite décalé par une voix tierce : à la logorrhée se mêle un pathos tragique. Mais tout reste astucieusement annihilé. Cette voix qui parle via un écran est victime d’une panne de transmission. Elle oblige à un sous-titrage approximatif. Il contraint les trois parleurs à retrouver le fantôme de qui ils furent jadis et naguère.

Issus de trois pièces (« Répète », « Coloc », « Les Grands ») « Parler » devient autant une rude bataille qu’un exercice de ventriloquie pour se dégager du corps constitué de la langue tant celui-ci vient faire lui même écran au corps verbal d’une expérience plus intime. Elle illustre ce que la littérature fabrique lorsqu’elle joue non d’un véritable centre et sens mais de leurs annexes. Une nouvelle manière de dire en ne disant pas (et l’inverse) prouve que la question de fond du langage est reconduite de manière drôle voire perfide jusqu’à devenir comme dit Prigent « oiseusement ontologique ».

L’enjeu est de cerner quelque chose de juste au sein d’une expérience linguistique qui ne cesse de déraper tant le propos est volontairement présenté comme régressif en une sublimation d'aphonie bavarde. Elle est d’ailleurs soulignée par certaines bribes en gras – selon un procédé d’insistance - afin de suggérer une impuissance verbale. Le dialogue ne fait que déréaliser stricto sensu ce que le langage doit produire. L’énergie que mobilise les personnages l’est sinon en pure perte du moins pour une assignation approximative.

Jean-Paul Gavard-Perret