Tangage
de Gisèle Fournier

critiqué par JPGP, le 17 décembre 2022
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Gisèle Fournier et l'absence
Une certaine absence : Gisèle Fournier

Gisèle Fournier n’a pas encore reçu la reconnaissance qu’elle mérite - en dépit du prix que la Suisse Romande lui a décerné en 2008. Pourtant dès son deuxième livre « Non dits » (Editions de Minuit) tout était en place dans sa manière de réinventer le roman en semblant ne pas y toucher. Elle poursuit depuis - et jusqu’à « Tangages » (Mercure de France) - une façon pertinente de représenter les relations des êtres.

La Genevoise ramène à l’expérience que nous nous faisons du monde où nous vivons comme du monde qui vit en nous. Preuve que le roman n’est pas qu'un problème formel. Certes celui-ci garde son importance, il incarne ce « change » dont parle J-P Faye. Et Gisèle Fournier s’y emploie. Chacune de ses histoires permet de pénétrer une densité a priori insécable. Elle creuse le monde obscur des sentiments qui devraient nous être familiers mais que l’inconscient collectif ou particulier refuse d’affronter. Cet univers devient ici lisible, hors pathos, voire une certaine distance. Aucune clé n’est offerte. Au bout de lignes droites et en des creux,Gisèle Fournier rend l’obscur et le silence plus éclairé et explicite. La romancière cherche à représenter une expérience juste. Elle ne peut être celle de la clarté mais d’un certain chaos - sinon à tricher avec ce qu’il en est de l’être.

En somme, chaque texte devient l’expérience sinon de l’absence de sens du moins de son incertitude, loin des bâtis rationnels et la positivité des énoncés romanesques romantiques. Ici pas de parler faux, mais l’approche de « vérités » tues et cachées dans la recherche de ce qui n’a jamais été ou ne se dit pas plus. La créatrice compose avec le rapport à l’opacité. Elle sait que l’existence n’est pas lisible « comme un livre ». C’est pourquoi les siens oeuvrent au cœur de l’énigme. Chaque texte reste par sa nomination au cœur de l’innommable. Et c’est bien là que s’accomplit la langue, elle affronte le présent en ses lignes de front qui sont celles de tant de barrages.

Jean-Paul Gavard-Perret.