Taches de soleil, ou d'ombre: Notes sauvegardées 1952-2005
de Philippe Jaccottet

critiqué par JPGP, le 17 décembre 2022
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Philippe Jaccottet et l'épreuve du temps
Ce qui émeut Philippe Jaccottet le meut. A savoir la beauté du monde et ce quelque chose de caché au revers que sa parole tente de découvrir. Sa poésie est donc une quête, un chemin à parcourir, une responsabilité vis-à-vis de lui-même. C’est vrai dans tous ces livres et même en ces « notes sauvegardées » qui paraissent cette année.

Côtoyant des poètes comme Pierre Reverdy, Gustave Roud, Pierre Jean Jouve, Jacques Chessex, Pierre-Alain Tache, Ramuz et tous les poètes non francophones qu’il a traduits, l’auteur surgit dans ces notes avec une conscience claire de son travail. Il s'inscrit dans la continuité de la question de la Présence au monde, un monde qui ne se réduit pas à Dieu. Et c'est le plus souvent à travers l'expérience première d'un lieu qu'émerge quelque chose de l'ordre du rapport au monde. L’auteur relate sans cesse la relation étrange qu'il entretient non seulement dans la proximité de ses auteurs de chevet mais tout autant avec une branche qui vibre dans le soir.

Pour Jaccottet l’état de poésie requiert une disponibilité au présent. D’où sa poétique de l'instant. Elle implique d’être tout entier présent au monde, dans ses manifestations les plus diverses, les plus inattendues mais aussi les plus simples. L'adhésion entre l'être et le mondese fonde sur une durée et l’espace où ils se rejoignent.

L’auteur ne cesse de renoncer à sa grille de lecture et de son savoir pour s’abandonner le temps où la raison et son ordre font défaut et où surgit le désordre d’un imaginaire ancré cependant sur le réel. Soudain ce qui se passe suscite alors un sentiment de plénitude, d'harmonie et d'appartenance. Une part du monde entre en lui pour laisser transfuser quelque chose d'universel et qu'il est possible de transmettre.

Mais un long chemin est nécessaire afin d’y parvenir. Ces notes le retracent. Elles formulent l’attachement au réel par la recherche des mots justes, loin des formules convenues. Dans cet état de sommeil éveillé surgissent d'abord des images particulières. Elles agissent tels des arcs électriques au moment où le poète ne parle plus : il se laisse parler en acceptant l'obscur puis en sa lançant dans un travail de clarification qui peut prendre des années Car la poétique de l'instant convoque le jeu de la mémoire autant que celui de l’imagination. Néanmoins le sens recherché est toujours en relation avec la vie. Seule l'expérience de l'écriture permet de le trouver.

Parfois à l’expérience de la nature se superposent d'autres émotions : picturales, musicales, littéraires. Elles sont aussi des énigmes et des réponses. Mais dans tous les cas la quête de l'instant met Jaccottet au cœur d'un monde perçu comme foisonnant. Elle transforme sa poésie en une résistance de soi en soi afin non de s’épancher mais de dire l’essentiel dans un engagement devant le doute, l'ouverture, l'attention face à la mort et à la finitude. Seule la poésie - même en ses notes - permet des joies intactes, comme si pouvait se rejoindre l'enfance ou le paradis perdu à vivre intensément.

Jean-Paul Gavard-Perret