Arches du vent
de Pierre Voélin

critiqué par JPGP, le 15 décembre 2022
( - 77 ans)


La note:  étoiles
La poésie pure de Pierre Voélin
Poète français frontalier, Pierre Voélin vit en Suisse et reste un des oubliés de la poésie. Elle possède pourtant chez lui plus qu’une saveur : une essence majeure qui l’éloigne de bien des parodies poétiques montées en épingle. Aux constructions artificielles, aux mécaniques mortifères l’auteur préfère le silence de la montagne quitte à trébucher dans sa neige quelle que soit la saison : «Il n’est que de marcher aveugle / quitter la nuit osseuse /L’esprit s’ouvre à des puits de neige /Des voix disent que des mains saignent» . Et de leur sang sortent non des prières mais des appels aux couleurs souvent sombres.

Les deux livres publiés par Fata Morgana permettent pour l’un de redécouvrir des textes inédits qui transforment un paysage minimaliste et champêtre en un retour au pays natal riche de centaines d'accroches inédites et surprenantes. L’œuvre n’est pas sans rappeler la poésie de Jim Harrison. Comme chez lui il existe de belles conversations muettes. Elles sont autant d’appels à l’imaginaire que des manières de remettre les pieds sur terre par effets de chroniques qui n’ont rien d’égocentrées. Reste bien sûr la présence de l’enfant "éperdu" face aux monstres qui l’habitent comme ceux qui l’entourent. Il demeure parfois dans la lune mais néanmoins attentif à la marée des heures et ce qui y arrive.

La mort et le sexe sont là le cœur battant mais pas dans le même rythme. Et encore enfant l’auteur n’accepta jamais d'ignorer ce qui fait l’existence. Il en remarque toujours depuis ce temps les dérives, les failles abyssales tout en refusant de sacrifier aux larmes, sachant ce que les mots comme les silences cachent : "Il est tard; il a toujours su qu’on l’attendait, comme il sait par avance les cris, les remontrances d’une mère épuisée. Il essuiera ses pieds, passera par la cave (...) avant de remonter vers la cuisine pour y reprendre sa place autour de la table familiale" . Nul commentaire et exit le pathos.

L’auteur se contente d’étudier les balafres que laissent l’Histoire et grève les existences. Le "qui je suis" passe simplement par l’intelligence de savoir quoi faire des êtres et des journées. L'auteur accepte les deux et rentré chez lui il entend couler le temps sans forcément contempler son fleuve de peur d’y voir remonter les damnés de l’Histoire. Il sait regarder le monde selon un autre axe préférant les dessous des femmes. Sans pudeur. Sans impudeur. A défaut de leur absence il se fait au besoin le rêveur lucide. Face aux ombres des mots qui mentent il garde la force de rester rêveur en lui-même lorsque dehors la terre est gelée.

Jean-Paul Gavard-Perret