La montée des circonstances
de Denis Roche

critiqué par JPGP, le 14 décembre 2022
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Denis Roche entre chien et loup
« J’écris pour être seul, je photographie pour disparaître », disait Denis Roche. Mais les photographies du livre (en partie inédites) montrent comment cette disparition est relative et comment elle est compensée. Une série de textes du photographe illustre cette relative « disparition des lucioles ». Ils prouvent que le créateur reste atypique tant par ses théories que sa pratique. Cette dernière a pour cadre le passage du temps, le corps, le nu « amoureux » ; le silence et le lien entre les images et les mots. Ses photographies sont la plupart du temps des photos en vision directe effectuées lors de ses voyages et pérégrinations. « Il n'y a pas de mise en scène, ce ne sont pas des photos faites en studio, des photos préméditées ». Mais le doute est permis : sous l’apparence désinvolture s’inscrit une vocation esthétique sophistiquée et réfléchie.

Denis Roche prouve que plus que les mots (même s’il fut aussi poète)- la photographie est capable de faire parler le silence en noir et blanc. Le créateur se comporte en véritable compositeur de formes. Car chez lui l’image n’est jamais simple. Elle se distribue en secondes et en tierces quel que soit son sujet : autoportraits, portraits, nus, paysages, natures mortes. La dénudation est rarement frontale : elle passe par un baroquisme des jeux de miroirs, la reprise incessante de l’expérimentation formelle.

Le créateur affirmait en 2002 « L’écriture c'est le propre, le définitif, la photo c'est le sale, l'approximatif ». Et il est vrai qu’il compilait des milliers de ses photos plus ou moins ratées qu’il compulsait et classait même si « leur ratage est irrattrapable ». Mais si une photo ratée ne peut ni se corriger ni s'améliorer, remuer les négatifs, c'est remuer le temps, remuer la mort. Et il n’était pas question pour lui de se débarrasser de tels déchets : « Ce serait aussi s'amputer d'une très grande partie du temps qui s'est déroulé dans cette activité. J'aurais l'impression de détruire des pans entiers de ma propre vie ». D’autant que dans ce capharnaüm il existe toujours des photos à sauver. Ce livre et cette exposition le prouvent.

Jean-Paul Gavard-Perret