Je ne suis pas Nanaky
de Antonin Artaud, Jean-Gilles Badaire (Dessin)

critiqué par JPGP, le 14 décembre 2022
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Les morcellements d'Antonin Artaud
Dès son enfance Antonin Artaud n'existe plus. Un surnom s'imprime sur sa matrice, vierge, germinative. Il devient un "crachat" . Plutôt que de s'en débarasser Artaud va en multiplier les avatars. Le "vrai" nom qui généralement représente la loi ne brandit plus son glaive. Il est remplacé - selon le Rite du Ciguri qui rappelle bien d'autres mythes primitifs - par râpe magique de la dé-nomination l' encendrement de l'être.

Preuve que le nom officiel est "détaché d'une image agie et vécue quelque part". Si bien qu'Artaud demandera même à Paulhan d'éditer "Le Voyage au pays des Tarahumaras" sous la seule signature de : ***. Mais dans "Je ne suis pas Nanaky" le "Momo" veut échapper au vivant honni. Le nom ne serait enfin moins "un gouffre de recommencement" que le lieu du commencement. Sortant d’un chaos Artaud semble ordonner ou du moins laisse espérer un autre règne.

Et ce au moment où piochant dans le cadavre de la langue il essaye d'atteindre une avant-langue ou son avant genèse par les glossolalies. S'étant rendu compte que "les mots étaient incapables de dire tout ce que je voulais leur faire dire" il va inventer des "syllabes parfaites" (c'est lui qui souligne). Dans ce mystérieux alphabet mastiqué par une énorme bouche, "épouvantablement refoulée, orgueilleuse, illisible, joyeuse de son invisibilité" l'auteur va recouvrer son nom. Le vrai. Quoique transformé dans ses glossolalies des Cahiers du Retour à Paris en "Timpi / Le vulz de ki / Le vul ibi".

Jean-Paul Gavard-Perret