Corbeline
de Jacques Moulin, Ann Loubert (Dessin)

critiqué par JPGP, le 13 décembre 2022
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Le corbeau blanc de Jacques Moulins
Les mots lacérés, les vers parfois déchiquetés, les phrases arrachées au silence et caverneuses ouvrent un corpus en mémoire au fameux poème narratif 'The Raven" d'Edgar Allan Poe et qui contribua à sa notoriété.

Toutefois le texte de Moulins est beaucoup moins macabre. Et le mot même de "corbeau" appelle bien d'autres noms d'oiseaux et frissons d'ailes. Si bien que la vie du mot oiseau lui-même jargonne en voyelles et consonnes "avec de l'encre en guise de fiente". Pour autant celle-ci n'a rien de putride : elle devient la matière propice à des "ascendances assurées" et multiples.

D'où la richesse poétique d'un tel livre aussi surprenant. Les poèmes qui articulent l'ensemble n'ont rien d'élégiaques ou de macabres. Ils deviennent des cantates. Le vautour lui même devient lyrique. Et cette libre volière crée la réverbération d'un monde qui fuse en toutes saisons.

Il ne s’agit pas ici de réduire le corbeau à des séjours funèbres mais lumineux. Celui d'un univers se reconstruit non sans un certain décalage et une ironie. C'est un peu comme lorsque Mallarmé écrivait "Après avoir trouvé le néant j’ai trouvé le beau". Privé à priori de chant, le corbeau vocalise sa glose sans "gazouillis, pépiements ou sufflotis".

Raclant sa gorge il "braille des mots enroués" au delà du jour sous la lune et devient "blanc au profond de la nuit". Et c'est magique.

Jean-Paul Gavard-Perret