1629, ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta - Tome 01: L'Apothicaire du diable - Première partie
de Xavier Dorison (Scénario), Thimothée Montaigne (Dessin)

critiqué par Hervé28, le 28 novembre 2022
(Chartres - 55 ans)


La note:  étoiles
Un navire....un trésor...et une mutinerie !
La première chose que l'on remarque avec cette bd, c'est sa qualité éditoriale, une couverture remarquable, et un album de 135 pages qui pèse plus d'un kilo!
Certes, le prix est assez élevé, et un choix éditorial autre à un moindre coût aurait pu l'emporter mais c'est vrai que cette option, assez luxueuse, est discutable mais passons...
Ce qui frappe en ouvrant cet album, c'est le dessin de Thimothée Montaigne. J'avais découvert cet auteur avec la série "le troisième testament-Julius" qu'il avait reprise au pied levé avec un certain brio, il faut l'avouer. Certes son dessin lorgne sans ambiguïté aucune, vers celui de Mathieu Lauffray, avec lequel il avait collaboré sur "Long John Silver".
Il n'y a rien à dire sur le dessin, c'est superbe, on en prend plein la vue avec quelques pleines pages ou doubles pages incroyables (je pense notamment à la découverte du Jakata, pages 22 et 23.)
En débutant la lecture, j'ai immédiatement songé au personnage de Lady Hasting de "Long John Silver" avec Lucretia Hans, qui veut rejoindre son époux, au delà des mers.
Je reste subjugué par la beauté des planches, malgré la noirceur de l'intrigue, au fil des pages.
Le scénario de Xavier Dorison n'est pas en reste, l'intrigue est très sombre, les personnages très tourmentés, et ce premier volume retrace avec une efficacité remarquable, l'atmosphère qui règne sur un navire où une mutinerie couve....
Parti d'un choix éditorial très discutable sur le coût, cet album rejoint, à mes yeux, un des meilleurs albums que j'ai lu cette année, bref un incontournable de cette année.
Un thriller maritime impitoyable 8 étoiles

Cette bande dessinée, premier volet d’un diptyque, est clairement la sensation du moment chez Glénat, et on comprend pourquoi. A commencer par le magnifique travail éditorial : livre en grand format doté d’une couverture luxueuse avec vernis sélectif doré et marque-page en tissu. Au-delà de ce bel emballage qui pourrait s’avérer trompeur, le contenu est tout à fait à la hauteur…

Alors certes, graphiquement, on a affaire à ce style commun à toutes les grandes séries commerciales au long cours. Cela n’a rien d’original mais c’est très bien fait, avec cette touche cinématographique qui immerge le lecteur dans l’histoire : pleines pages spectaculaires, cadrages de haute volée, incrustation de petites cases en plans serrés pour un rendu hyper dynamique. Timothée Montaigne est doué, c’est incontestable, et le travail sur la couleur de Clara Tessier ne fait qu’en rehausser la qualité visuelle. Sans compter les mappemondes de l’époque et le plan en coupe du bateau au début qui confèrent au livre un côté « archive ». De la belle ouvrage, comme disaient les anciens.

Le scénario de Xavier Dorison, inspiré d’une histoire vraie, n’est pas en reste. La narration est totalement maîtrisée, Dorison ayant conçu ici un véritable « page turner » qui vous happe sans plus vous lâcher jusqu’à la fin… de ce premier tome — dommage pour les impatients ! De même, les personnages principaux ont des personnalités bien marquées, ce qui ne gâche rien. Si le neuvième art regorge de récits sur les « Vieux gréements », un genre presque à lui seul, celui-ci nous met dans la peau des occupants du navire Batavia, rebaptisé ici Jakarta, qui tous sans exception endurèrent des conditions de vie extrêmement difficiles durant un périple depuis les Pays-Bas jusqu’à l’Indonésie, ancienne colonie hollandaise.

En préface, Dorison nous avertit, cette aventure va nous montrer que l’Homme est capable de la pire barbarie, avec « arrêt complet de l’empathie », ce qui ne fait que renforcer notre curiosité, pour ne pas dire, toute honte bue, notre fascination pour le sordide ou le voyeurisme. Ce qui laisse penser que le second tome ira encore plus loin dans l’horreur, ce premier tome restant finalement assez « sage », toute proportion gardée. Heureusement, l’histoire ne se limitera pas à cette accroche, dans la mesure où elle se fait l’excellente métaphore — et c’est là tout son intérêt — du capitalisme financier moderne, le même qui aujourd’hui mène le monde à sa perte. Les Hollandais semblaient être précurseurs en la matière, le navire étant détenu par la première « multinationale » de l’Histoire, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, contrôlée par des actionnaires dont la puissance financière imposait des règles inhumaines d’une cruauté inégalée au sein de l’équipage. La tournure que va prendre l’aventure confirmera l’inadéquation totale d’un tel système avec la réalité la plus triviale.

C’est du grand spectacle pour une épopée maritime qui le méritait bien, avec ce paradoxe d’être certes une invitation au voyage, mais plus sûrement un voyage vers l’enfer, laissant le lecteur entre l’émerveillement et la sidération face à l’horreur vécue par ces hommes. Il est rare qu’une œuvre dans sa première partie nous laisse avec une si forte envie de connaître sa conclusion, que les auteurs ne devraient pas manquer, espérons-le, d’amener à bon port…

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 17 décembre 2022