Les soeurs noires
de Philippe Remy-Wilkin

critiqué par Débézed, le 22 novembre 2022
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Enigme tournaisienne
Avec ce roman Philippe nous entraîne au cœur de Tournai, une ville qu’il semble particulièrement aimer, pour raconter l’histoire d’une jeune fille, Siham, qui possède tous les dons et talents : la beauté, l’intelligence, la générosité et les meilleures aptitudes au combat notamment dans la pratique du krav maga l’art martial le plus violent utilisé dans les commandos et sections spéciales de divers services secrets dont le Mossad. Pour raconter cette histoire, Philippe utilise un procédé littéraire particulier, son texte se décompose en deux sortes de chapitres qu’il propose alternativement : des chapitres qui racontent le déroulement de l’enquête et des chapitres qui, parallèlement, évoquent ce qui s’est passé réellement quelques semaines ou quelques jours avant.

Cette enquête concerne la disparition de Siham, une élève de l’athénée Bara dirigé par Cathy, elle est menée par Raphaël, un auteur de polars, sollicité par cette dernière qui est convaincue que la police fait fausse route, Siham n’est pas partie pour le djihad en Syrie, elle demande à Raphaël de trouver le vrai motif de sa disparition. Celui-ci se met à la tâche, avec l’aide de ses trois amis et Jacques l’ex directeur de l’athénée, il explore toutes les pistes possibles : un contact douteux avec un « ami » sur un réseau social, son frère et sa sœur très contrariés par le comportement de Siham vis-à-vis de leur famille et religion, les responsables d’une organisation proposant des séjours pour les célibataires mâles, un amoureux et une amie éconduits, les migrants syriens cachés en bordure de la ville, … Toutes ses pistes se mêlent, s’emmêlent, se contredisent, se recoupent…, avec son équipe de choc, Raphaël avance doucement mais sûrement vers le dénouement d’une enquête bien complexe qui met en évidence les nombreux problèmes actuels de notre société.

Ce texte est un bel exercice d’élaboration d’une enquête digne d’un meilleur polar et un bon exercice d’écriture, Philippe excelle dans cet art, son style est efficace, rapide, moderne, il donne du rythme à son récit et à son enquête. Il utilise de nombreux mots rares et n’hésitent pas à en créer de nouveaux pour rester au plus proche des scènes et situations qu’il décrit. C’est aussi une belle visite documentée, touristique et historique de Tournai, une ville qui semble cher à son cœur.

Mais ce roman n’est-il pas avant tout un prétexte pour évoquer les problèmes qui perturbent actuellement le bon fonctionnement de notre société. Dans cette histoire on rencontre des migrants ayant fui la Syrie qui se cachent pour ne pas être enfermés ailleurs encore, des islamistes extrémistes, des musulmans parfaitement intégrés, des mouvements d’extrême droite, des policiers corrompus, des internautes déjantés, des psychopathes dangereux… toute une population de gens déstabilisés qui désorganise la société et créée le danger partout.

Pour rendre cette histoire moins austère, plus crédible, moins violente, plus empathique, Philippe introduit de nombreuses citations et références littéraires, cinématographiques, musicales surtout avec la présence constante des chansons de Juliette Armanet. Son érudition, ses connaissances, son savoir éclairent ce livre d’allusions géographiques, historiques, scientifiques, sociologiques et même religieuses … Une balade au cœur de Tournai, un détour au creux de la société belge du début du XXI° siècle, un regard sur une jeunesse en plein questionnement, c‘est aussi un peu tout ça ce livre.