Les Presque Soeurs
de Chloé Korman

critiqué par Poet75, le 31 octobre 2022
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
Six fillettes dans la tourmente
Puisque ce livre est désigné comme un « roman », il convient de conserver ce terme, qui figure d’ailleurs sur la page de couverture. En vérité, ce à quoi s’est livrée Cloé Korman, avec la complicité de sa sœur Esther, c’est à une enquête minutieuse et documentée. Mais, bien évidemment, le récit qu’elle en tire et qu’elle propose à notre lecture, lui, est romancé, dans la mesure où, pour raconter, il faut laisser place à une part d’imagination et de mise en forme. On notera, dès à présent, la finesse d’une écriture qui, sans besoin de fioritures, porte avec justesse son sujet, se met à sa hauteur, et ainsi, ne peut que toucher le lecteur au profond de son cœur.
Car, ce dont il est question ici, c’est de la destinée impensable, et pourtant bien réelle, de quelques-uns des enfants (il y eut, au total, 11 104 mineurs de moins de seize ans) qui furent arrêtés, mis sous surveillance dans des camps ou des foyers, puis, pour la plupart, déportés depuis la France sous l’Occupation. Ceux qui parvinrent à Auschwitz furent aussitôt exterminés. S’efforcer, autant que faire se peut, de retracer non seulement l’histoire mais le ressenti d’une poignée d’entre eux, tel est le projet auquel s’est attelée Cloé Korman, d’autant plus que, parmi tous ces enfants, il en était trois de sa propre famille : trois fillettes, ses cousines, Mireille, 10 ans, Jacqueline, 8 ans, et Henriette, 3 ans, déportées en 1943 à Beaune-la-Rolande, avant de passer de foyer en foyer jusqu’à celui de Saint-Mandé, d’où elles furent envoyées à Auschwitz en juillet 1944.
Comment parler d’elles ou plutôt comment faire entendre leurs voix de petites filles prises dans un conte à faire peur, mais bien réel celui-là, à partir des quelques éléments que purent retrouver la romancière et sa sœur Esther ? Ce tour de force-là, Cloé Korman le relève, le transforme, le transmet au lecteur. Nous voilà avec elles, avec ces petites filles, ballottées d’un endroit à l’autre, apeurées tout en s’efforçant de se raccrocher à tout ce qui peut rassurer. C’est ainsi que les trois fillettes Korman se rapprochent de trois autres petites filles, les Kaminsky, Andrée, Rose et Jeanne qui deviennent leurs « presque sœurs » et qui, elles, miraculeusement, courageusement aussi, réussiront à survivre à cette page d’horreur.
Bien documenté, alternant les pages contemporaines (le récit des enquêtes menées sur le terrain par Cloé et sa sœur) et les pages « historiques », le roman est habité par la présence des six petites filles. Oui, sans nul doute, ce sont leurs voix que la romancière fait entendre, leurs voix retrouvées, leurs voix qui s’emplissent de toutes les voix des enfants que l’on fait souffrir.