La Treizième Heure
de Emmanuelle Bayamack-Tam

critiqué par Alma, le 14 octobre 2022
( - - ans)


La note:  étoiles
Un roman ponctué d'emprunts à la poésie
C'est avec une certaine appréhension que j'ai commencé la lecture de LA TREIZIEME HEURE..... Farah, une secte , son gourou , voilà qui me rappelait ARCADIE le précédent roman de Emmanuelle Bayamack-Tam dont je n'avais pas apprécié l'atmosphère .

Ici, pas vraiment de secte, plutôt « une confrérie » dont le message est « peu ou prou celui de Jésus , en plus écologiste, en plus féministe et en plus queer »
De sexe, il en est question, mais sous l'angle de « l'ambiguïté anatomique », du « désordre organique », de la transidentité et de la filiation ( assez compliquée, ici ).
Questions abordées au travers de trois récits complémentaires : celui de Farah, adolescente à la recherche d'une mère « qui s'est volatilisée » peu de temps après sa naissance , de Lenny, qui l'élevée : son père pour l'état civil et non son géniteur, enfin celui de Hing, sa mère d'intention. Il y manque celui de la mère porteuse, mais elle apparaît seulement comme un personnage des deux autres récits .

Certes, le roman présente des longueurs, mais qui sont liées au contenu de chacun des récits
Celui de Farah est l'enquête que l'adolescente , qui telle un détective, mène sur l'identité de sa mère, n'ayant de cesse de chercher à d'obtenir des indices sur son identité.
Celui de Lenny est une sorte de plaidoyer dans lequel il explique les circonstances de la rencontre avec la mère, la montée du désir d'enfant et les moyens de le mettre en œuvre .
Enfin celui de Hing est une confession , un mea culpa , un acte de contrition.
De plus la question de l'ambiguïté anatomique impose des passages de commentaire médical qui n'ont rien de romanesque .

Mais cela n'a pas suffi à altérer mon plaisir de lecture.
J'ai d'abord apprécié la manière dont l'auteure a su aborder le sujet délicat de la transidentité, avec tact et délicatesse, en nous faisant partager le vécu intérieur de chaque personnage face à sa singularité .

Mais ce qui , pour moi, a fait de la lecture de ce livre une véritable gourmandise, c'est la récurrence des références à la littérature en général et en particulier à la poésie. S' y ajoutent des références au cinéma, à la chanson et enfin dans les pages 276 à 279, au pouvoir magique du chant d'opéra.
Le roman est régulièrement ponctué d'extraits de poèmes qui s'intègrent parfaitement à la narration en prose, comme si Lenny « vampirisé » dès son enfance par la poésie classique, et dont les prêches étaient ponctués de ses « obsessions lyriques », avait contaminé le discours de sa fille et de sa compagne.
Quel plaisir de retrouver, parfaitement intégrés à la prose, des extraits de poèmes de Hugo, Baudelaire, Rimbaud , Nerval et de bien d'autres dont la liste complète figure en dernière page !
C'est comme un hommage à de grands noms de la littérature qui continuent au travers des siècles à alimenter notre imaginaire .

Tout en étant un roman d'aujourd'hui par son thème central, par son appel à l'acceptation de la différence, c'est aussi une oeuvre qui par ses emprunts au patrimoine littéraire relie le présent au passé .
Emmanuelle Bayamack-Tam a bien mérité du Prix Landerneau des Lecteurs 2022 qui vient de lui être décerné .

Roman lu dans le cadre du Prix Landerneau 2022