Cavale russe
de Célestin De Meeûs

critiqué par Pucksimberg, le 2 octobre 2022
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
Traversée poétique de la Russie comme une fugue ...
Cette « cavale russe » nous mène à travers la Russie, celle qui est sauvage, parfois abandonnée, démesurée, celle qui ne correspond pas exactement à la carte postale. Le poète a traversé la Russie d’est en ouest pour regagner ensuite sa Belgique natale. La peur l’habite car il va être confronté à des températures basses, à des villes peu connues du plus grand nombre, à des paysages sauvages et immenses desquels l’homme est absent … Ce long poème relate cette traversée faite par Célestin de Meeûs qui s’adresse parfois à l’être aimé dont la photo prise à Ostende le suit. Puis il y a cette Bazine, morte quand il avait 10 ans, partie trop tôt qui a semble-t-il insufflé au jeune poète cette envie de partir du plat pays.

Ce poème nous fait littéralement voyager à travers ces paysages sauvages, ces villes au nom exotique pour nous, ces personnes croisées au détour des routes avec lesquelles le poète partage quelques instants. On pense souvent à Cendrars ou à Kerouac. Le voyage n’est pas du tout décrit comme le journal de voyage d’un touriste mais plutôt comme un défi que le poète s’est lancé à lui-même. Ce n’est pas le bonheur qui illumine ce texte poétique. Il rappelle davantage les explorateurs à l’œil attentif qui observent ce monde avec objectivité. Pourtant Célestin de Meeûs transfigure les paysages par sa langue et par sa capacité à transfigurer le monde. Quand il regarde le ciel, des signes invisibles semblent apparaître que nul ne voit, mais que le poète projette à partir d’éléments qui attirent son regard. Il sait saisir des caractéristiques du paysage qui en quelques mots sont imaginées par le lecteur.

Le poème comporte très peu de signes de ponctuation, vraiment très peu, ce qui donne un rythme particulier au texte que le lecteur s’approprie comme dans les poèmes d’Apollinaire. Le poète ménage aussi des effets de surprise avec des groupes grammaticaux qui sont à cheval sur deux vers, ce qui parfois nous invite à repenser le sens que l’on avait initialement associé à un vers. Le blanc typographique est aussi utilisé comme pour matérialiser par l’invisible l’écoulement du temps. Il y a de la modernité aussi dans les images utilisées et dans le choix du vocabulaire qui détone ou surprend parfois dans le genre poétique. A l’évocation de la Russie traversée s’entrecroisent quelques confidences sur des personnes qui lui sont chères.

Ce poème est beau, rythmé, moderne, touchant et possède du rythme à l’image de cette fuite en avant dans un pays immense tellement différent de sa Belgique natale. Voilà un poète qu’il faudrait suivre et avec lequel il serait passionnant de parler de son périple et de poésie.

« Le soleil qui d’ordinaire refuse de disparaître
Est occulté par une couche de nuages noirs
Qui borborygment et pour tout dire je crève
De trouille mais c’est peut-être tant mieux
Sans quoi je n’aurais jamais avancé d’un pouce
Mais la lumière ce soir et les moustiques partis
Mais la résine de bouleaux blancs et le concert
Des trembles dans le silence pallient
Sinon la peur au moins la sensation
D’être à distance égale
D’aucun endroit sur terre
Je crois outrageusement à la tendresse
Et à l’orage – la nuit s’enfonce
Dans l’Ob – des loups hurlent à l’absence
De lune – et les éclats de foudre cautérisent
Les brèches desquelles elles sont issues »